Le textile est un matériau très vulnérable en raison de sa sensibilité à la lumière, aux manipulations et à la poussière. La double mission du musée - conserver et transmettre - est donc particulièrement complexe dans le cas de pièces si fragiles et difficiles à exposer. La restauration préalable à une exposition consiste la plupart du temps en une stabilisation des matériaux et une amélioration de l’état de présentation de l’objet. Faute de temps, l’étude et un traitement plus complet sont souvent difficiles à réaliser dans ce contexte. L’atelier de conservation-restauration du Musée des Arts Décoratifs a bénéficié, grâce au mécénat exceptionnel de la Vallée Village, du temps nécessaire à l’étude approfondie des cinq pièces sélectionnées et à une restauration fondamentale, « durable ».
La restauration se fait dans une optique de conservation : le but n’est pas de reconstituer, de remettre en fonction, mais d’assurer la pérennité et l’intégrité de l’œuvre dans son authenticité. Tant qu’elles ne menacent pas sa conservation, les traces du parcours matériel de l’œuvre, tout comme la « patine » liée au temps, doivent être respectées. Une opération de restauration débute toujours par la documentation de l’œuvre et une observation très précise qui donne lieu à un constat d’état, avant un dépoussiérage systématique et l’opération fondamentale de consolidation par un tissu teint d’une couleur la plus proche possible de l’original. Ce travail de teinture prend au minimum une demi-journée par couleur.
Le musée s’est engagé dans une démarche pionnière de teinture à base de colorants naturels, non polluants, en cohérence avec la teinture originelle et dont les recettes étaient perdues. Les colorants synthétiques ont été abandonnés, sauf pour certaines teintes spécifiques. L’intervention de consolidation d’un textile est superficielle et peu intrusive comparativement à des opérations de comblement ou de réintégration sur d’autres types de matériaux. En effet, le support de consolidation reste toujours indépendant du tissage original et la réversibilité de cette intervention est, de fait, satisfaisante.
Une restauration exceptionnelle : cape de la première moitié du XVIe siècle, (France ou Italie)
Les pièces semblables de cette époque encore conservées aujourd’hui sont rarissimes : il n’en existe plus qu’une dizaine dans le monde. Le velours de cette cape présentait de nombreuses zones d’usure et des fentes importantes. Il a donc fallu opérer une restauration particulièrement délicate et de grande ampleur par la consolidation et le doublage intégral de la cape, mais aussi le refixage, un par un, d’un nombre considérable de sequins appartenant au décor brodé de fils d’or et d’argent. Une étude poussée a permis d’en savoir plus sur l’histoire du vêtement, au travers de la découverte d’une inscription brodée dans la doublure du col, invisible jusqu’alors, et des lisières, les « marques » des tisserands.
L’histoire d’une femme à la cour de Marie-Antoinette : robe à la française, vers 1770 (France)
La doublure de la jupe de cette somptueuse robe de cour était usée. Elle a été restaurée à l’aide d’un support de consolidation. Le restaurateur a ainsi le privilège de voir les parties cachées, l’intérieur d’un vêtement. Or, cette doublure ainsi découverte présente un intérêt décoratif et documentaire majeur : elle est faite d’un tissu dit « chiné à la branche » (procédé de teinture partielle), très coûteux et long à produire, donc récupéré et conservé le plus longtemps possible.
Un accessoire végétal pour une tenue de jardin : capeline, vers 1780-1790 (France)
Peu de capelines de paille ou de fibres végétales datant de la fin du XVIIIe siècle sont parvenues jusqu’à nous, en raison de leur extrême fragilité. Le tressage de cette pièce insolite, difficile à identifier, était rompu par endroits, créant des lacunes. On supposait qu’elle était faite de fibres de courge ou de cucurbitacée.
Or, l’étude menée lors de la restauration a montré qu’il s’agissait en fait de fibres d’hibiscus, plante chère et exotique. La technique de consolidation restait donc à inventer et un résultat esthétique satisfaisant a été produit, ce qui n’est pas toujours le cas.
La genèse de la haute couture : robe du soir, vers 1893-1894 (Worth, France)
Des fentes étaient apparues dans les tissus, très empoussiérés, de cette robe de bal lourde et compliquée. La restauration a donc commencé avec un nettoyage par gommage. Le fil dont sont faits les motifs de plume décorant la robe se désagrégeait. Cette robe posait en outre un problème spécifique : à l’époque fut inventée une soie de deuxième qualité dite « chargée » car alourdie par des sels métalliques, ce qui permettait d’obtenir un meilleur tombé. Utilisée pour les doublures et les fonds de robe, elle se dégrade de façon irréversible car les sels « mangent » la soie. Ainsi, seules quelques-unes des quarante robes griffées Worth du musée sont montrables aujourd’hui. Celle-ci était dans un état « stabilisable » et a pu être consolidée par un grand support débordant, grâce au temps dont disposait la restauratrice.
Les muses de la mode : robe du soir « Spi » ou « Peloute », 1922 (Poiret, France)
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Les recherches pour la restauration de cette robe du soir ont permis de retrouver la photo de dépôt de modèle, qui la présente accessoirisée pour un « look ». La panne de velours de soie dont elle est composée est un tissu extrêmement fragile, qui plus est taché, tandis que le décor de jours et de broderies était en état de désagrégation avancée.
La restauration, techniquement très complexe, a d’abord consisté en une atténuation des taches par réorientation des poils qui s’étaient agglomérés, à l’aide d’un petit pinceau et d’une binoculaire, appareil d’optique poussée. La deuxième étape a été un doublage et une consolidation totale du décor de jours par une crêpeline de soie teintée qui en respecte la transparence.