Fernando Campana (né au Brésil en 1961) et Humberto Campana (né au Brésil en 1953), respectivement architecte et avocat de formation, se sont associés en 1983 pour créer une œuvre singulière qui utilise des matériaux et des techniques à priori inhabituels dans l’univers du design. Depuis leur atelier de Sao Paulo, véritable laboratoire artisanal, Fernando et Humberto Campana conçoivent un design « tiré de la rue », à mi-chemin entre l’Arte Povera et la production industrielle d’objets de design, et ont pour matériaux de prédilection des objets de récupération. La culture du Brésil est leur principale source d’inspiration : la diversité des influences, la mixité sociale, l’économie de moyens et l’artisanat.
Les premières réalisations sont celles d’Humberto : il s’agit de pièces artisanales comme des cadres de miroirs réalisés en bois et en coquillages (« Sans titre », 1977, collection particulière, Sao Paulo) et des paniers en bambou aux formes et techniques volontairement imparfaites et imprécises. Humberto et Fernando intitulent même leur première collection « Inconfortable », un ensemble de chaises très lourdes et peu fonctionnelles, présenté dans une galerie de Sao Paulo en 1989.
Leur œuvre évoque volontiers la nature, notamment par le répertoire iconographique choisi ; il privilégient, par exemple, le motif du coquillage (dans les premiers cadres de miroirs, mais aussi dans leurs dernières créations, des chandeliers), élément décoratif fréquent à la fois dans l’art baroque, mais aussi dans l’artisanat traditionnel des Indiens du Brésil. La référence au monde animal est récurrente : le canapé Boa (2002, édition Edra), par exemple, mais aussi le fauteuil Corallo (tressage de fil de métal rouge corail, 2004, édition Edra) ou le fauteuil Anémone (2000, production Estudio Campana) qui évoquent l’univers marin.
Ils procèdent à un premier travail de récupération de bouts de bois, de ferraille ou de plastique, de pièces de tissus ou d’autres éléments insolites comme des jouets, puis ils les détournent de leur usage initial, allant jusqu’à la transgression des normes esthétiques, en les agençant tantôt selon des procédés artisanaux, tantôt selon des techniques de pointe. Ils n’hésitent pas à définir leur univers à la limite du « kitsch » et du « régionalisme », mais également à la frontière du design, des arts appliqués et de l’art contemporain.
Pour les Campana, la fonctionnalité d’un objet ou d’un meuble découle de la forme qui, elle, est dictée par les matériaux. Ils font sensation en 1991 avec leur chaise Favela créée à partir de morceaux de bois récupérés assemblés de façon artisanale (qui sera diffusée par Edra à partir de 2003), puis en 1993 avec un ensemble, fabriqué en carton et aluminium, de modèles uniques de lampes, d’une chaise en petite série et d’un prototype de canapé (qui sera édité par Edra à partir de 2001), ou en 2002, avec une Banquete Chair (produite par l’Estudio Campana) faite d’animaux en peluche amoncelés, et avec le siège Sushi (2002, édition Edra) composé de lamelles de tissu, autant d’exemples d’un design anticonformiste. Ils s’intéressent autant au mobilier qu’ils font éditer par les plus grandes maisons comme Edra, qu’aux objets pour l’art de la table avec des corbeilles et coupes en fil d’aluminium (collection Nuvem, « nuages », dessinée dès 1991 et diffusée par Alessi en 2007).
Passionnés par la culture française, ils signent des collaborations avec des maisons telles Lacoste en 2009 pour une ligne de polos et Bernardaud en 2011, avec la collection « Nazareth », un ensemble de coupes, bougeoirs et serre-livres en bronze doré ou en porcelaine. Leur aménagement du Café de l’Horloge du Musée d’Orsay, tout récemment rénové, compte parmi leurs dernières créations notables dans l’hexagone. Ils y donnent libre cours à leur imagination en réinterprétant certaines de leurs œuvres comme le fauteuil Corallo (2004, édité par Edra) et en réalisant en même temps des pièces spécifiques à cet espace du Musée d’Orsay, comme la chaise Campana, dont les formes organiques évoquent des feuilles de nénuphar. Ils ont été élus designers de l’année 2012 au Salon Maison & Objets à Paris. Pour « Les Frères Campana, Barrocco Rococo », leur première exposition en France dans un musée, Humberto et Fernando ont imaginé eux-mêmes la scénographie sous la forme d’une installation conçue comme un rideau de bambous articulés habillant les cimaises de la galerie d’actualité.
Le bambou est un matériau qui leur est familier et qu’ils affectionnent tout particulièrement. Enfants, ils se fabriquaient déjà des cabanes à l’aide de bambou et de raphia qui envahissaient leur jardin. Depuis, ils ont pris l’habitude d’utiliser ce matériau pour ses multiples propriétés : d’une part, il est facile à travailler car souple et léger ; d’autre part, ce bois repousse très rapidement, et, devenu « le parent pauvre du bois » au Brésil, il peut ainsi répondre aux règles de développement durable qui sont chères.
Dans les niches intégrées aux murs de bambous, ils placent des créations réalisées pour la Galleria O. de Rome qui ont été présentées, au Palais Doria Pamphilj, actuelle ambassade du Brésil, en mai-juin 2011, ainsi que d’autres réalisations inédites, faites spécialement pour l’exposition au MAD de Paris. Les pièces exposées au Palais Doria Pamphilj ont été conçues en réponse à une proposition d’expositions, initiée par la commissaire italienne Emanuela Nobile Mino en collaboration avec la Galleria O. de Rome, portant sur le thème des « intérieurs privés romains ». Une à deux fois par an, des designers sont ainsi invités à imaginer des objets de design en relation à un lieu précis, symbolique des différentes périodes de l’architecture de Rome (Antiquité, Renaissance, Baroque, etc.), avec pour but de mettre en parallèle le design et l’architecture. Les Frères Campana ont été les premiers créateurs conviés à « redessiner » l’aménagement intérieur de la grande galerie du Palais Doria Pamphilj.
Suivront, d’ici 2013, d’autres designers comme Patricia Urquiola, l’Atelier Van Lieshout ou encore Tokujin Yoshioka qui investiront d’autres monuments romains. Humberto et Fernando voient là, à la fois l’occasion d’une rencontre entre leur art et l’architecture baroque de Francesco Borromini et les fresques de Pierre de Cortone, l’un des joyaux du patrimoine historique de Rome, mais également l’opportunité de rendre hommage à l’art baroque de leur pays d’origine.
Toutes les pièces (des lampes, des chandeliers, des tables ou des sièges) sont donc d’inspiration baroque, faites à partir de moulages en bronze doré d’éléments décoratifs anciens, puisant dans un répertoire iconographique des XVIIe-XVIIIe siècles. Ainsi, la torsion de la base de l’un des chandeliers est non seulement un élément formel du vocabulaire artistique des Campana, mais est également une référence directe au mouvement ascensionnel en torsion de nombreuses sculptures du Bernin dont celles de la Fontaine des Quatre Fleuves (1648-1651). Les éléments moulés sont ensuite « pervertis », selon l’expression des deux frères, pour aboutir à une création insolite utilisant des matériaux nobles comme le marbre de Carrare et le bronze. Ils cherchent à faire « de l’archéologie recomposée » à partir de ces éléments qui sont « désorganisés de façon à obtenir un collage personnel, un assemblage d’éléments recomposés en une forme nouvelle », parfois volontairement imparfaite, résultant de l’imagination foisonnante des Campana. Les pièces sont façonnées dans un atelier romain spécialisé dans le travail du bronze et du marbre et selon la plus pure tradition des techniques artisanales d’orfèvrerie. Chaque œuvre est produite en série très limitée. A propos de ce travail, les Campana se plaisent à dire : « Le vrai luxe est celui d’avoir l’opportunité de travailler sur des projets qui permettent de faire des prototypes sans devoir répondre aux exigences de l’industrie ».