Au XXe siècle, l’affichage poursuit son essor urbain et les innovations et changements sociaux de ce siècle sont perceptibles à travers l’évolution et la diversification de ses supports, ses matières, ses styles, ses esthétiques…
Au tournant du siècle d’importants débats agitent le monde de l’art notamment autour de la question de l’art social. Se pose alors la question de la démocratisation de l’art et de l’embellissement des rues, au centre de laquelle l’affiche est perçue comme l’art décoratif qui permettrait de pallier à ces deux insuffisances. Parallèlement à cela des mouvements contestataires commencent à faire entendre leur voix dans le but de protester contre l’affichage « sauvage » accusé de défigurer les monuments historiques, les sites pittoresques et les paysages français. Le début d’un affrontement entre partisans et opposants de l’affiche naissait alors. Nous mesurons l’importance de l’affiche tandis que, alors que nous abordons le tournant d’un autre siècle, le débat n’est toujours pas clos…
Ainsi, depuis Jules Chéret, la publicité par affichage est omniprésente sur les murs de la cité, pourtant elle a fait l’objet de nombreuses réglementations régulièrement revues pour être sans cesse plus restrictives.
La réglementation
En France, il existe une réglementation à l’échelle nationale qui autorise, restreint ou interdit la publicité selon les sites, sous-tendue principalement par des préoccupations liées à la sécurité routière (décret de 1976) ou à la protection de l’environnement et du cadre de vie (loi de 1979).
Désormais les municipalités ont, elles aussi, la possibilité de réglementer la publicité à l’intérieur de leur territoire, au-delà du règlement national existant. Elles établissent alors un « Règlement de la publicité et des enseignes », le plus souvent accompagné d’un « Plan de zonage » qui défini les zones de publicité restreintes, interdites ou élargies sur le territoire de la ville. Ce règlement est élaboré au terme de la collaboration de plusieurs acteurs concernés par la publicité urbaine : la municipalité, les associations anti-pub, les afficheurs, mais aussi la commission départementale des sites ou encore les monuments historiques.
Ces règlements tentent de contrôler la publicité autorisée mais ne peuvent tout à fait éviter la publicité sauvage pour laquelle il faudrait déployer énormément de moyens matériels et humains.
Le BVP (Bureau de Vérification de la Publicité) ne réglemente pas l’affichage par une prévisualisation comme c’est le cas pour les campagnes télévisées, il ne peut que se contenter d’émettre un avis favorable ou défavorable, une fois la campagne affichée.
Les acteurs de l’affichage urbain
▪ La municipalité : Nous l’avons vu, les pouvoirs publics municipaux sont habilités à réglementer la publicité sur leur territoire. Afin de veiller au respect de ces règles, la surveillance est confiée à un département de la mairie. Ainsi, à Paris, c’est la Direction de la publicité et des droits de voirie qui est en charge de ce rôle de régulateur entre le règlement, les pressions des afficheurs d’un côté et les mouvements antipub de l’autre.
▪ Les afficheurs : Peu d’afficheurs se partagent aujourd’hui le marché très convoité de l’affichage urbain.
Le plus souvent liés par des contrats aux municipalités, les afficheurs, comme JC Decaux assurent une partie de l’équipement et de l’entretien du mobilier urbain où sont apposées des affiches. C’est le cas, notamment, des abribus à Paris ou encore des « panneaux sucettes » qui sont installés et entretenus par l’afficheur comme convenu avec la mairie.
D’autres afficheurs participent à la publicité urbaine en se spécialisant plus ou moins dans certains types de supports.
Ainsi Claude publicité ou Defi sont les principaux acteurs de la publicité lumineuse. Dauphin, Avenir (groupe JC Decaux), Giraudy Viacom ou More O’Ferrall sont très présents sur les grandes surfaces d’affichage comme le 4x3, mais pas exclusivement. Clear Channel occupe plus spécifiquement les gares ou parkings…
Dans les transports en communs parisiens et marseillais, c’est la régie publicitaire Métrobus qui assure la gestion de l’affichage (Celle des transports ferrés est assurée par France Rail).
Il existe enfin des sociétés plus modestes qui se sont spécialisées dans un type d’affichage très ciblé. Médiabus, par exemple, propose aux annonceurs d’utiliser les cars de tourisme comme surface d’affichage grâce à la technique du « total covering »1 , Carlogo, Libertydrive ou Upskin proposent quant à eux d’utiliser les voitures des particuliers (en rétribuant ces derniers en contrepartie) afin d’afficher les messages des annonceurs. D’autres s’emparent progressivement de toutes les surfaces mobiles possibles et imaginables tels que les taxis, les auto-écoles... En effet, la population urbaine se déplaçant de plus en plus, l’affichage se fait de plus en plus mobile afin de continuer à toucher sa cible.
Les mouvements antipub
Il existe principalement deux associations qui agissent dans le but de limiter l’affichage.
L’une a pour volonté de protéger l’environnement et d’empêcher la dégradation et la défiguration des sites et paysages. Cette association nommée Paysages de France est soutenue par de nombreux intellectuels.
L’autre association vise plus directement les contenus publicitaires et leurs actions prétendues sur les consciences individuelles : le RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire) fondé en 1992 par Yvan Gradis.
Enfin, ponctuellement, diverses associations protestent contre le contenu de certaines campagnes qui portent atteinte au respect et à la dignité de certains groupes, véhiculent des stéréotypes dangereux ou autres images provocantes. La Meute, par exemple, émane de l’association des Chiennes de gardes, elle a été créée en juin 2001 pour protéger l’image de la femme au moment du tollé qu’avait provoqué la publicité Babette : je la lie, je la fouette et ensuite elle passe à la casserole. Ces associations se différencient des deux précédentes notamment parce qu’elles mettent en doute la moralité publicitaire et contestent son idéologie mais elles n’ont pas pour vocation première de limiter, réduire voire éradiquer l’affichage urbain et/ou rural.
Les divers types de supports
Les principaux supports d’affichage sont les suivants :
• Les panneaux 4x3 (4m sur 3)
• Les mâts d’affichage
• Les abribus
• Les colonnes Morris
• Les panneaux sucettes et panneaux sur pieds
• Le métro (comprenant les divers supports qui sont installés dans ses couloirs, ses stations, ses wagons….) et les bus.
• Les toiles publicitaires (remplaçantes des murs peints du siècle précédent)
• Les taxis et voitures
• L’affichage lumineux sur toiture (bien plus rare qu’au début du siècle car de plus en plus réglementé)
L’affiche « fille des rues »2 ou « élément de civilisation urbaine »3 mute et se transforme à travers le temps et l’espace suivant toujours au plus près les mutations sociales et conservant ainsi l’importance qu’elle a incontestablement acquise dans la matérialité et la symbolique de l’espace urbain.
Quelques citations
« Les villes sans publicité sont comme mortes, muettes, vides tellement nous sommes habitués à dialoguer avec les murs peints, comme avec les pages illustrées d’un grand livre ouvert. La seule chose qui manquait à la peinture était la parole. Maintenant c’est chose faite. L’affiche chante, crie, grogne, proteste, conseille tout ce qui peut être entendu non par les oreilles mais par les yeux. C’est le dialogue permanent de l’image et du peuple. La ville devient communicative. »
Miguel-Angel Asturias
« Réussie, l’affiche donne à penser et prête à l’évasion. L’image réincorpore un rectangle de nature au sein de ces cubes de murs qui la nient, qui l’exterminent, qui la souillent. Elle vivifie ce béton bétonnant qui traque la végétation jusque dans ses derniers retranchements »
Georges Elgozy - Les paradoxes de la publicité - 1969.
« L’affiche est un cri, une ventouse scarifiée record, une sorte de journal bref que des inconnus emploient pour correspondre avec des inconnus »
Léon-Paul Fargue - Le Figaro, cité dans Vendre - Avril 1936.
« L’affiche est fille des rues. Populaire et aristocratique. Fleur du pavé ou reine de la palissade, elle s’offre à tous comme un cadeau sans jamais perdre son quant à soi. Cette belle gosse haute en couleur qui fait tourner les têtes, c’est la championne de la communication claire et concise. »
Raymond Savignac
« Elles couvrent les murs de nos rues, font partie du paysage de nos villes et si, brusquement, une mesure autoritaire décidait de les interdire, nous aurions l’impression que les couleurs ont disparu, que les murs sont tout à coup d’une tristesse grise. En somme, l’affiche fait partie, comme la lumière, de la fête urbaine. La fête ou l’enfer ? »
Max Gallo - L’affiche miroir de l’histoire - 1973
L’affiche dépasse sa fonction immédiate et devient élément de la culture sociale « qui meuble le cerveau des individus non pas de savons et de cuisinières, mais aussi de formes et de couleurs, de connotations et de styles qui mûriront dans le cadre culturel pour être à leur tour facteurs de nouvelles images ou de nouvelles idées »
Abraham Moles - L’affiche dans la société urbaine -1969
« La publicité, c’est l’art des cavernes du XXe siècle »
Marshall Mac Luhan - 1988
« Les créations, autrefois d’un Loupot, hier d’un Savignac, les portraits photographiques aujourd’hui proposés par Benetton ou les effigies actuelles des politiciens, pour sophistiqués qu’ils soient, n’ont de chance de fonctionner que dans la mesure où ils constituent, dans les « boyaux » et autres « artères » où nous nous précipitons quotidiennement (métro, voies carrossables de toutes sortes), des échappées « compensatoires » : aperçus de la vie rédimée d’une existence à laquelle nous aspirons tous. »
P. Fresnault Deruelle - L’éloquence des images -1993
« Placés dans le jardin clos de l’affiche les fruits du bonheur sont à portée de main »
Michel de Certeau