Imaginés comme somptueux faire-valoir aux objets précieux conçus par les marchands merciers ou comme éléments de décor pour les intérieurs, ces ornements de bronze doré se déclinent sur toutes sortes d’objets. Pendules, aiguières, vases, pots-pourris, cassolettes, bras de lumière, lustres, tables et consoles, chenets et cheminées, colonnes et piédestaux sont ainsi enrichis d’ornements finement ciselés et dorés dont les réalisations de Pierre Gouthière comptent parmi les plus somptueuses. La diversité des matériaux utilisés, marbre, porphyre, jaspe, porcelaine de Chine, ivoire comme leur couleur offre des jeux contrastes saisissants propres à séduire les commanditaires.
On sait peu de choses sur les débuts de Pierre Gouthière si ce n’est qu’il fit son apprentissage auprès du maître doreur François Ceriset et eut la grande chance de travailler tôt dans sa carrière avec des orfèvres de renom. Parmi eux, François-Thomas Germain, orfèvre du roi qui le forma à la technique de la dorure et de la ciselure sur or et argent. Durant cette période, Gouthière apprit à maîtriser les multiples étapes de la production d’objets en laiton doré et les techniques plus particulièrement complexes de la ciselure et de la dorure. Ces processus nécessitaient de faire appel à un grand nombre d’artisans (dessinateur ou architecte, sculpteur, modeleur, fondeur, tourneur, ciseleur et doreur) et mettaient en œuvre différents savoir-faire comme la création de modèles, la soudure de différents éléments fondus séparément, la manipulation chimique de la dorure ou encore l’assemblage final des ornements. C’est durant sa formation qu’il mit au point un procédé qui fit sa renommée : la dorure « au mat », technique très onéreuse, qui lui permettait de varier les effets de brillance à la surface des objets.
Pour les réaliser, Gouthière travailla avec les plus grands ornemanistes, sculpteurs et architectes comme François-Joseph Bélanger, Claude-Nicolas Ledoux ou Pierre-Adrien Pâris dont quelques dessins, conservés au Musée des Arts Décoratifs et dans quelques autres collections nationales ou privées sont présentés pour la première fois en regard des œuvres. Ces dessins, étapes indispensables au processus créatif, montrent à la fois l’immense inventivité des ornemanistes et combien ils constituent un répertoire de formes et d’ornements dans lequel Gouthière et ses contemporains puisèrent abondamment. Modèles de bras de lumière, de chenets, de cheminées, de vases de garnitures, de poignées de porte feront ainsi écho aux œuvres de Gouthière.
Pierre Gouthière travailla presque exclusivement pour une clientèle d’hommes et de femmes puissants et immensément riches, à commencer par la cour, qui lui demandaient d’exécuter des objets extravagants de luxe et d’exubérance. En 1770, l’architecte Ledoux le choisit pour réaliser, d’après ses dessins, les bronzes d’ameublement du pavillon de Louveciennes édifié pour la comtesse Du Barry. Entre 1772 et 1777, il est appelé à participer au décor du château de Fontainebleau pour l’un des salons de la favorite (aujourd’hui disparu) et travaille à celui du boudoir turc de Marie-Antoinette. Pendant ces mêmes années, il fournit à la duchesse de Mazarin des bronzes pour le décor de son salon parisien dont une extraordinaire paire de bras de lumière. En travaillant sous la conduite de l’architecte Bélanger qui élève et dirige la décoration du pavillon de Bagatelle, Gouthière œuvre aussi pour le comte d’Artois, frère du roi Louis XVI. Parmi ces commanditaires le duc d’Aumont joua un rôle considérable. Gentilhomme de la chambre du roi et intendant principal des Menus Plaisirs, alors que Gouthière est en charge de la réalisation de bronzes pour le serre-bijoux de la Reine, le duc devient son plus fameux commanditaire.
Les œuvres de Gouthière pour le duc d’Aumont comptent parmi les plus exceptionnelles. Grand amateur de pierres dures et de porcelaines asiatiques, Aumont, tout en se faisant aménager son hôtel particulier, aujourd’hui l’hôtel Crillon place de la Concorde, commanda au bronzier des montures en bronze doré destinées à mettre en valeur certaines pièces de ses collections, montures dont Bélanger fournit les dessins. Dispersées lors de la vente qui suivit le décès du duc en 1782, l’exposition est l’occasion de réunir une quinzaine d’entre elles.
Il n’y a pas de « style Gouthière » à proprement parler, mais plutôt une manière bien personnelle d’interpréter un modèle. Comme souvent lorsque les artistes ne signent que rarement leurs œuvres, certaines attributions se perdent et se brouillent. Certaines pièces de ses contemporains lui furent attribuées quand d’autres réalisées de ses mains furent données à ses concurrents. L’exposition s’attarde justement sur quelques bronziers contemporains qui excellèrent, chacun à sa manière, à ciseler le bronze et à employer la dorure au mat. Ainsi quelques œuvres de Forestier, Rémond, Feuchère et Thomire viennent enrichir cet extraordinaire savoir-faire des bronziers parisiens.
Si Pierre Gouthière fut célèbre à son époque, il travailla moins après la Révolution française, mais sa renommée courut jusqu’à sa mort en 1813. Tout au long du XIXe siècle, il ne cessa d’être admiré et son œuvre recherchée des amateurs, essentiellement français et anglais. Ces œuvres sont conservées en France au musée du Louvre, au château de Versailles, en Angleterre à la Wallace Collection de Londres, aux États Unis à la Frick Collection et dans plusieurs collections privées. L’exposition est l’occasion de les faire découvrir et aimer d’un plus grand nombre.
L’exposition est aussi l’occasion pour le Musée des Arts Décoratifs d’inviter la Maison Lignereux en lui proposant de présenter cinq créations contemporaines au cœur des salles du musée dédiées au XVIIIe siècle. Ces œuvres, véritables objets-sculptures, associent porcelaine et bronze doré en référence aux objets les plus luxueux produits au XVIIIe siècle.