Or virtuose à la cour de France. Pierre Gouthière (1732-1813)

du 16 mars au 25 juin 2017

Le Musée des Arts Décoratifs présente les œuvres de celui qui fut l’un des plus célèbres artisans du XVIIIe siècle, Pierre Gouthière, doreur et ciseleur des rois Louis XV et Louis XVI.

104 objets d’art et 85 dessins et estampes, replacent l’œuvre de Gouthière au cœur de la création ornementale du dernier tiers du XVIIIe siècle. Cette exposition est le fruit d’une collaboration du musée avec la Frick Collection de New York.

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Commissariat
• Anne FORRAY-CARLIER, conservatrice en chef du patrimoine, département XVIIe-XVIIIe siècles assistée de Sophie Motsch, assistante de conservation, département XVIIe-XVIIIe siècles
• Charlotte VIGNON, conservatrice du MAD à la Frick Collection, New York

Scénographie
• Philippe PUMAIN

Exposition organisée par la Frick Collection, New York, et adaptée à Paris par le Musée des Arts Décoratifs

Avec le soutien des Friends of the Musée des Arts Décoratifs

Présentation

Le projet parisien présente une version enrichie de l’exposition new yorkaise et offre l’occasion de faire le point sur l’œuvre et la carrière du bronzier, sur les attributions souvent généreuses dont il fit l’objet autant que sur le rôle joué par ses principaux commanditaires tel que le duc d’Aumont. L’exposition met également le travail de Gouthière en perspective avec celui de ses concurrents d’alors, tout en rappelant les liens unissant les bronziers aux architectes, aux ornemanistes, tous protagonistes de l’évolution du décor intérieur.

Imaginés comme somptueux faire-valoir aux objets précieux conçus par les marchands merciers ou comme éléments de décor pour les intérieurs, ces ornements de bronze doré se déclinent sur toutes sortes d’objets. Pendules, aiguières, vases, pots-pourris, cassolettes, bras de lumière, lustres, tables et consoles, chenets et cheminées, colonnes et piédestaux sont ainsi enrichis d’ornements finement ciselés et dorés dont les réalisations de Pierre Gouthière comptent parmi les plus somptueuses. La diversité des matériaux utilisés, marbre, porphyre, jaspe, porcelaine de Chine, ivoire comme leur couleur offre des jeux contrastes saisissants propres à séduire les commanditaires.

Petit autel, bronze doré par Pierre Gouthière, vers 1770
Ivoire, marbre blanc, bronze ciselé et doré
Collection privée
© DR

On sait peu de choses sur les débuts de Pierre Gouthière si ce n’est qu’il fit son apprentissage auprès du maître doreur François Ceriset et eut la grande chance de travailler tôt dans sa carrière avec des orfèvres de renom. Parmi eux, François-Thomas Germain, orfèvre du roi qui le forma à la technique de la dorure et de la ciselure sur or et argent. Durant cette période, Gouthière apprit à maîtriser les multiples étapes de la production d’objets en laiton doré et les techniques plus particulièrement complexes de la ciselure et de la dorure. Ces processus nécessitaient de faire appel à un grand nombre d’artisans (dessinateur ou architecte, sculpteur, modeleur, fondeur, tourneur, ciseleur et doreur) et mettaient en œuvre différents savoir-faire comme la création de modèles, la soudure de différents éléments fondus séparément, la manipulation chimique de la dorure ou encore l’assemblage final des ornements. C’est durant sa formation qu’il mit au point un procédé qui fit sa renommée : la dorure « au mat », technique très onéreuse, qui lui permettait de varier les effets de brillance à la surface des objets.

Pour les réaliser, Gouthière travailla avec les plus grands ornemanistes, sculpteurs et architectes comme François-Joseph Bélanger, Claude-Nicolas Ledoux ou Pierre-Adrien Pâris dont quelques dessins, conservés au Musée des Arts Décoratifs et dans quelques autres collections nationales ou privées sont présentés pour la première fois en regard des œuvres. Ces dessins, étapes indispensables au processus créatif, montrent à la fois l’immense inventivité des ornemanistes et combien ils constituent un répertoire de formes et d’ornements dans lequel Gouthière et ses contemporains puisèrent abondamment. Modèles de bras de lumière, de chenets, de cheminées, de vases de garnitures, de poignées de porte feront ainsi écho aux œuvres de Gouthière.

Jean-Démosthène Dugourc, Projet pour une table d’applique, candélabres, flambeaux et vase, vers 1790
Encre noire et aquarelle sur papier
Musée des Arts Décoratifs
© MAD

Pierre Gouthière travailla presque exclusivement pour une clientèle d’hommes et de femmes puissants et immensément riches, à commencer par la cour, qui lui demandaient d’exécuter des objets extravagants de luxe et d’exubérance. En 1770, l’architecte Ledoux le choisit pour réaliser, d’après ses dessins, les bronzes d’ameublement du pavillon de Louveciennes édifié pour la comtesse Du Barry. Entre 1772 et 1777, il est appelé à participer au décor du château de Fontainebleau pour l’un des salons de la favorite (aujourd’hui disparu) et travaille à celui du boudoir turc de Marie-Antoinette. Pendant ces mêmes années, il fournit à la duchesse de Mazarin des bronzes pour le décor de son salon parisien dont une extraordinaire paire de bras de lumière. En travaillant sous la conduite de l’architecte Bélanger qui élève et dirige la décoration du pavillon de Bagatelle, Gouthière œuvre aussi pour le comte d’Artois, frère du roi Louis XVI. Parmi ces commanditaires le duc d’Aumont joua un rôle considérable. Gentilhomme de la chambre du roi et intendant principal des Menus Plaisirs, alors que Gouthière est en charge de la réalisation de bronzes pour le serre-bijoux de la Reine, le duc devient son plus fameux commanditaire.

Les œuvres de Gouthière pour le duc d’Aumont comptent parmi les plus exceptionnelles. Grand amateur de pierres dures et de porcelaines asiatiques, Aumont, tout en se faisant aménager son hôtel particulier, aujourd’hui l’hôtel Crillon place de la Concorde, commanda au bronzier des montures en bronze doré destinées à mettre en valeur certaines pièces de ses collections, montures dont Bélanger fournit les dessins. Dispersées lors de la vente qui suivit le décès du duc en 1782, l’exposition est l’occasion de réunir une quinzaine d’entre elles.

Deux pots-pourris, Pierre Gouthière, vers 1770-1775
Porcelaine de Chine, XVIIIe siècle ; bronze doré
© Musée du Louvre

Il n’y a pas de « style Gouthière » à proprement parler, mais plutôt une manière bien personnelle d’interpréter un modèle. Comme souvent lorsque les artistes ne signent que rarement leurs œuvres, certaines attributions se perdent et se brouillent. Certaines pièces de ses contemporains lui furent attribuées quand d’autres réalisées de ses mains furent données à ses concurrents. L’exposition s’attarde justement sur quelques bronziers contemporains qui excellèrent, chacun à sa manière, à ciseler le bronze et à employer la dorure au mat. Ainsi quelques œuvres de Forestier, Rémond, Feuchère et Thomire viennent enrichir cet extraordinaire savoir-faire des bronziers parisiens.

Si Pierre Gouthière fut célèbre à son époque, il travailla moins après la Révolution française, mais sa renommée courut jusqu’à sa mort en 1813. Tout au long du XIXe siècle, il ne cessa d’être admiré et son œuvre recherchée des amateurs, essentiellement français et anglais. Ces œuvres sont conservées en France au musée du Louvre, au château de Versailles, en Angleterre à la Wallace Collection de Londres, aux États Unis à la Frick Collection et dans plusieurs collections privées. L’exposition est l’occasion de les faire découvrir et aimer d’un plus grand nombre.

L’exposition est aussi l’occasion pour le Musée des Arts Décoratifs d’inviter la Maison Lignereux en lui proposant de présenter cinq créations contemporaines au cœur des salles du musée dédiées au XVIIIe siècle. Ces œuvres, véritables objets-sculptures, associent porcelaine et bronze doré en référence aux objets les plus luxueux produits au XVIIIe siècle.

Pierre Gouthière à Paris

Le choix du Musée des Arts Décoratifs pour rassembler le temps d’une exposition une partie des œuvres produites par Pierre Gouthière n’est pas fortuit. Qui mieux que le Musée des Arts Décoratifs peut offrir une collection de référence en matière d’art décoratif français ? Conçu par ses pères fondateurs sur la volonté « d’entretenir en France la culture des arts qui poursuivent la réalisation du beau dans l’utile », l’institution compte depuis ses débuts d’importantes collections de dessins et d’estampes où l’ornement est roi et surtout une collection d’éléments en bronze ciselé et doré offrant un panorama complet de cette discipline à travers les âges. Il est donc apparu opportun de développer ces deux axes dans le cadre de l’exposition parisienne. Une sélection de pièces en bronze doré, choisies avec pertinence au regard de la production de Pierre Gouthière, sert d’introduction à l’exposition et permet d’initier le visiteur à cette technique particulière, composée d’un alliage de cuivre et d’étain dans des proportions variables, communément appelé bronze mais qui s’est révélé chez Pierre Gouthière être plus souvent un alliage de cuivre et de zinc, autrement dit du laiton, alliage plus adapté à la ciselure, à la soudure et à la dorure.

Projet de crémone et de poignée de porte, anonyme, vers 1780-1785
Dessin à l’encre noire, lavis gris, aquarelle jaune. Musée des Arts décoratifs
© MAD, Paris

À partir de la pièce conservée au Musée des Arts Décoratifs, le bouton de porte-fenêtre provenant du pavillon de Louveciennes de la comtesse Du Barry, chaque étape du processus de fabrication est développée, du dessin à la pièce finale en passant par l’épreuve en bois, la cire, le moule, la fonte, la ciselure et la dorure grâce aux talents du sculpteur sur bois Vincent Mouchez et des bronziers Bernard et Gaël Deville. Ces étapes, composant un processus complexe où intervenaient un dessinateur ou un architecte, un sculpteur, un modeleur, un fondeur, un tourneur, un ciseleur et un doreur étaient maîtrisées par Pierre Gouthière. Sous l’ancien régime, les métiers, organisés en communautés de métiers, indépendantes et parfois rivales, étaient définis selon des statuts juridiques précis, établissant les droits et obligations de leurs membres. Pour devenir maître dans sa discipline, le futur artisan passait de l’état d’apprenti à celui de compagnon, puis présentait un chef-d’œuvre démontrant que le savoir-faire du métier était acquis. Ce n’est qu’après avoir prêté serment et acquitté les frais d’accession à la maîtrise, que le jeune maître pouvait s’établir à son compte. Pierre Gouthière fut reçu maître doreur et ciseleur sur tous métaux le 13 avril 1758. Sa virtuosité dans la transformation du métal en véritable œuvre d’art, lui permit d’obtenir le statut d’artiste en la matière.

Dans le processus créatif d’une œuvre en bronze doré, le dessin joue un rôle essentiel, modèle indispensable au bronzier dont le savoir-faire va permettre de passer de la deuxième dimension à la troisième. Aussi, le Musée des Arts Décoratifs tient-il à mettre en avant cette fonction des architectes, sculpteurs et ornemanistes qui travaillèrent de près ou de loin avec Pierre Gouthière, dont la production entre en résonance avec son œuvre, permettant de dresser un panorama des modèles qui circulaient, de ce style qui délaissa les exubérances de la rocaille pour une plus grande sobriété empruntée au vocabulaire du monde antique. Cette mutation dans les arts décoratifs français ressentie comme sobre par les uns ou comme rigoureuse par d’autres, Pierre Gouthière l’agrémenta d’un naturalisme exceptionnel. Un peu plus de 80 dessins ont été choisis pour mieux mesurer la source à laquelle le bronzier pouvait puiser son inspiration, découvrir les ornements à la mode et comprendre ce qu’il devait à quelques architectes et ornemanistes. Certains anonymes, d’autres dûs à des artistes comme François-Joseph Bélanger, Jean-Démosthène Dugourc, Pierre-Adrien Pâris, Jean-Louis Prieur, Gilles-Paul Cauvet révèlent ainsi les liens unissant les bronziers aux architectes, aux ornemanistes et à leurs commanditaires, tous protagonistes de l’évolution du décor intérieur.

Paire de feux, Quentin-Claude Pitoin (bronzier), 1777
Bronze ciselé et doré. Musée des Arts décoratifs
© MAD, Paris / Cyril Bernard

Enfin comparer une sélection de pièces de Pierre Gouthière à celles de quelques-uns de ses contemporains a semblé pertinent afin de confirmer ce talent particulier de celui qui se rendit maître des dorures au mat. Ainsi autour de Pierre Gouthière, quelques œuvres de Quentin-Claude Pitoin, François Rémond, Pierre-Philippe Thomire permettent au visiteur de découvrir d’autres chefs-d’œuvre du bronze doré, puisant aux mêmes sources. Ces artistes, longtemps éclipsés par la renommée de Gouthière avaient, pour certains, bénéficié des difficultés financières rencontrées par l’artiste au milieu de sa carrière, profitant alors de commandes émanant de l’administration des Bâtiments du Roi et de clients privés. Toutefois leur activité restait mal connue. Exercice familier de l’histoire de l’art, la réattribution des œuvres rappelle que la mode autant que les connaissances acquises sur un artiste contribuent à faire fluctuer le nombre d’œuvres qui lui sont attribuées. Ainsi les travaux récents consacrés à quelques-uns de ces bronziers et la réattribution dont la production de Pierre Gouthière vient de faire l’objet, permettent d’apprécier la place de chacun et son tribut à l’élégance du décor intérieur français où le bronze tantôt souligne les lignes architecturales tantôt apporte une note d’originalité.

« Gouthière : une légende dorée »
Par Charlotte Vignon

Extrait du catalogue.

Paire de candélabres
Un vase en porcelaine dure, manufacture de Meissen, ca. 1720 ; le second, un remplacement ultérieur, bronzes dorés par Pierre Gouthière d’après un modèle de François-Joseph Bélanger, 1782, porcelaine dure et bronze doré. The Frick Collection, New York
© Photo Michael Bodycomb

De son vivant, Gouthière fut très célèbre. Il travailla presque exclusivement pour une clientèle d’hommes et de femmes puissants et immensément riches, qui lui demandaient d’exécuter des objets extravagants de luxe et d’exubérance, faisant l’objet de commandes exclusives. Lorsqu’il s’avérait que l’une de ces pièces passait en vente aux enchères, son nom était alors mentionné dans le catalogue : un privilège généralement accordé uniquement aux peintres et aux sculpteurs. Un autre signe indéniable de sa réputation était le prix de ses œuvres, comparable sinon plus élevé à celui de tableaux de peintres célèbres de l’époque. Il demanda près de 16 000 livres à madame Du Barry pour les ornements d’une cheminée et de plusieurs poignées de portes et de fenêtres destinées au salon en cul-de-four de Louveciennes (cat. 27 et 30), tandis que Jean-Honoré Fragonard espérait recevoir 20 000 livres pour les quatre panneaux de La Poursuite de l’Amour, aujourd’hui à la Frick Collection, peints pour la même pièce. Madame Du Barry rejeta les tableaux, qui furent remplacés par quatre grands tableaux de Joseph-Marie Vien (1716-1809) ; ce dernier reçut pour son travail 16 000 livres, soit le même montant que Gouthière pour ses ornements en bronze doré.

La société raffinée du XVIIIe siècle appréciait les « arts mineurs », qui l’incarnaient peut être plus encore que les tableaux contemporains. Ainsi, quand la peintre Élisabeth Vigée Le Brun écrivit ses Souvenirs en exil bien loin de chez elle et à une époque où ceux qu’elle avait connus sous l’Ancien Régime étaient décédés, elle se souvint encore des bronzes de Gouthière qui ornaient le pavillon de Madame Du Barry. (…)

Paire de feux, Pierre Gouthière, 1777, pour le boudoir turc de la reine Marie-Antoinette à Fontainebleau
Bronze doré et acier bleui. Musée du Louvre, versement du Mobilier national
© Photo RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier

Gouthière travailla moins après la Révolution française, mais il continua d’être célébré jusqu’à sa mort en 1813, comme le prouve l’éloge que lui fit le Journal de Paris en 1814. Tout au long du XIXe siècle, il ne cessa d’être admiré et recherché des amateurs, essentiellement français et anglais, férus de l’art qui fleurit en France au siècle précédent. En revanche, la vie de Gouthière ne fut véritablement étudiée qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. (…)

Le portrait de Gouthière qui se dégage de cette étude est celui d’un artisan de grand talent, d’un artiste passionné qui a poussé son art jusqu’à la perfection, d’un homme ambitieux, plein d’énergie et probablement fort charismatique, qui sut, sans aucun doute, saisir les chances qui s’offraient à lui.

« La vie et l’œuvre de Pierre Gouthière »
Par Christian Baulez

L’apogée : l’atelier de Gouthière entre 1770 et 1776

De 1770 à 1776, sans avoir quitté le quai Pelletier, on retrouve Gouthière à l’enseigne Au Méridien, sans être sûr si c’est lui qui a déménagé ou si c’est le locataire du rez-de-chaussée qui a changé ; les enseignes signalaient les boutiques du rez-de-chaussée et servaient par extension à designer tout l’immeuble. L’atelier de Gouthière se trouvait sans doute dans les étages : l’activité de ciseleur-doreur requérait en effet peu d’espace, un outillage peu volumineux et un personnel d’autant moins nombreux que le maître, mis à part un compagnon et un minimum d’apprentis, faisait surtout appel à des collaborateurs extérieurs. Une chose est certaine, c’est de cet atelier que sortiront quelques-uns des plus beaux chefs-d’œuvre de Gouthière, dont la notoriété prit un nouvel essor quand il reçut, le 6 janvier 1775, le brevet de ciseleur-doreur du comte d’Artois, frère de Louis XVI. (…)

Les commandes royales

Vase (d’une paire), XVIIIe siècle, bronzes ciselés et dorés par Pierre Gouthière d’après un dessin de François-Joseph Bélanger, 1782
Porcelaine céladon de Chine, porphyre et bronze doré. Musée du Louvre, versement du Mobilier national
© Photo RMN-Grand Palais / Konstantinos Ignatiadis

Le mariage du dauphin, futur Louis XVI (1754-1793) avec l’archiduchesse Marie-Antoinette (1755-1793), prévu pour le 16 mai 1770, mobilisa toutes les énergies des Menus-Plaisirs chargés de tâches aussi diverses que la machinerie et la scène du nouvel Opéra de Versailles, ou le choix des boîtes en or destinées aux présents. Le rôle de Gouthière fut relativement modeste puisqu’on ne lui demanda que quelques parties d’ornements pour le grand serre-bijoux de la dauphine, dont le projet par l’architecte François-Joseph Bélanger avait été approuvé par le duc d’Aumont en août 1769 (cat. 41).

L’une des premières surprises de Marie-Antoinette, lors de son arrivée à Versailles, avait été d’y trouver une comtesse Du Barry, dont elle ignorait l’existence et le rôle auprès du roi. Ce rôle impliquait un appartement près de celui de Louis XV dans chacune des demeures royales. Celui de Fontainebleau ayant été précédemment amputé au profit des Petits appartements du roi, la favorite obtint de Louis XV la construction d’un salon situé en hors-œuvre sur le jardin de Diane. Il est fort probable que madame Du Barry imposa Gouthière, qui travaillait alors pour elle à Louveciennes. Pour cette pièce, Gouthière exécuta les bronzes dorés de la cheminée sur un modèle du sculpteur Louis-Simon Boizot (1743-1809) (cat. 28) dont il avait reçu la commande des Bâtiments du roi, un service dépendant de la Maison du roi et dédié aux travaux et à l’entretien des maisons, jardins, arts et manufactures royaux. Il réalisa également quatre girandoles-vases ornées d’« enfants en différentes attitudes » sur un modèle de l’architecte Jacques Gondoin (1737-1818), alors dessinateur du Garde-Meuble de la Couronne – l’administration royale chargée de la gestion du mobilier et des objets d’art, destinés à l’ameublement et l’ornement des demeures royales – qui en avait fait la demande.

En 1777, Gouthière travailla encore pour Marie-Antoinette à son boudoir turc à Fontainebleau, œuvre presque intacte des sculpteurs Jules-Hugues Rousseau (1710-1782) et Jean-Siméon, dit Rousseau de la Rottière, qui a conservé sa cheminée enrichie des bronzes du ciseleur-doreur du roi. C’était également à lui que Pierre-Charles Bonnefoy du Plan (1732-1824), responsable du Garde-meuble de la reine, s’était adressé pour les bronzes d’ameublement, probablement les feux avec leurs pelles et pincettes à têtes de nègre, un lustre, les bras de lumières en forme de corne d’abondance, tenus par les quatre enfants des lambris ou autres girandoles.

Projet pour un candélabre, Jean-Louis Prieur (1732-1795), vers 1770
Dessin à la plume, encre noire, aquarelle sépia. Musée des Arts décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance
Bras de lumière d’une paire, Pierre-Philippe Thomire, 1787
Bronze doré. Musée national de Compiègne
© Photo RMN-Grand Palais
Gouthière et son réseau d’architectes et d’ornemanistes »
Par Anne Forray-Carlier
Paire d’aiguières (détail), porcelaine chinoise a couverte aubergine d’époque Kangxi (1662−1722)
Monture en bronze doré, vers 1785. Collection particulière
© Photo Thomas Hennocque

Le chantier de Louveciennes ouvre l’ère de ses travaux avec l’architecte Claude-Nicolas Ledoux. Conseillée par son entourage, madame Du Barry fit appel à De Wailly et Ledoux qui lui soumirent des projets. Sa préférence alla à Ledoux, sans doute déterminée par les travaux que l’architecte terminait au même moment dans l’hôtel du duc de Montmorency dont l’épouse était proche de la favorite. Par ailleurs, Ledoux bénéficiait d’un autre appui de poids, celui du maréchal de Soubise, intime de la favorite et pour l’heure amant de la célèbre danseuse, Marie-Madeleine Guimard, et Gouthière n’était pas totalement étranger au milieu des actrices et des danseuses de l’Opéra. Nouveau venu dans l’équipe de Ledoux, Gouthière devait travailler de nouveau pour lui pour les hôtels parisiens de Fontaine de Cramayel et du banquier genevois Georges-Tobie de Thélusson et pour les maisons du négociant Jean-Baptiste Hosten. (…)

La réputation grandissante de Gouthière fut-elle la seule raison qui conduisit Ledoux à lui confier l’exécution des bronzes dorés de Louveciennes ? Qui put être l’artisan de la rencontre entre l’architecte et le bronzier ? Sans pouvoir l’identifier avec précision, il semble que ce soit dans le milieu des actrices et de leurs protecteurs, que les deux hommes fréquentèrent, qu’il faut chercher cet intermédiaire. S’il n’est pas aisé de pénétrer la vie privée d’un artiste, quelques détails s’en échappent parfois qui, dans le cas de Gouthière, permettent de déceler dans ce monde du spectacle un lieu où il put tisser des liens professionnels. Si l’on ignore à partir de quelle date notre bronzier commença à fréquenter les salles de spectacle, il est certain qu’en 1769 il avait quelques relations avec l’actrice Madeleine-Augustine Courtois qui, comme l’écrit Jacques Robiquet, donnent lieu à douter de sa fidélité conjugale. Si Gouthière n’avait certes ni un nom ni une fortune, il avait sans doute pour lui une belle figure et encore la vigueur de la jeunesse, lui assurant les faveurs de ces dames et surtout lui permettant de rencontrer des hommes qu’il n’aurait pas approchés autrement. Rivalités ou amitiés favorisaient alors des appuis dont Gouthière, dans une certaine mesure, dut savoir jouer.

Paire de bras de lumière à cinq branches, Pierre Gouthière, d’après un modèle de François-Joseph Bélanger, vers 1780
Bronze doré et patiné. Musée du Louvre
© Photo RMN-Grand Palais

Car c’est peut-être aussi dans ce milieu que Gouthière fit connaissance avec un autre architecte pour lequel il travailla : François- Joseph Bélanger, qui fut successivement l’amant de Sophie Arnould et de Marie-Madeleine Dujon pour succomber finalement aux charmes d’Anne-Victoire Dervieux dont il fit sa femme. Les deux hommes entrèrent la même année au service de l’administration des Menus- Plaisirs, Bélanger comme dessinateur, Gouthière comme ciseleur-doreur. Là, ils travaillèrent conjointement au serre-bijoux de la dauphine (cat. 41), et surtout œuvrèrent aux montures des objets en pierres dures et porcelaine du duc d’Aumont, l’un des premiers gentilshommes de la Chambre du roi qui depuis 1763 était responsable de la comptabilité des Menus-Plaisirs. Les documents d’archives sont explicites : Gouthière exécutait les montures d’après les dessins de Bélanger. Lorsque ce dernier, en 1773, par le biais de sa maîtresse Sophie Arnould, en même temps maîtresse du prince de Hénin, capitaine des Gardes du comte d’Artois, fut introduit dans le cercle de la coterie Artois puis acheta, en 1777, la charge d’architecte du jeune frère du roi, il confia à Gouthière plusieurs travaux. Les deux hommes s’appréciaient sans nul doute, partageant certains intérêts tant professionnels que relationnels.

Aux Menus-Plaisirs, Gouthière côtoya également Pierre-Adrien Pâris qui, en 1778, succéda à Michel-Ange Challe (1718-1778) comme dessinateur du Cabinet du roi. Si Gouthière ne semble pas avoir oeuvré précisément d’après des dessins de Pâris, en revanche ce dernier nous a laissé le témoignage exceptionnel du relevé de plusieurs montures ciselées par le bronzier et les versions au net pour illustrer le catalogue de la vente qui suivit le décès du duc d’Aumont. (…)

Si les bronzes d’architecture soumis aux ordres des architectes occupent une place importante dans la production de Gouthière et lui valurent de travailler également avec les sculpteurs tels que Louis-Simon Boizot, Philippe-Laurent Roland ou Jean-Joseph Foucou, ils ne constituent pas toute l’œuvre du bronzier. Les bronzes d’ameublement forment une part non négligeable de son travail. Aux pièces de commande s’ajoutaient des pièces plus courantes.

Invitation : la Maison Lignereux

L’exposition consacrée à Pierre Gouthière est aussi l’occasion pour le Musée des Arts Décoratifs d’inviter la Maison Lignereux en lui proposant de présenter cinq créations contemporaines au cœur des salles du musée dédiées au XVIIIe siècle. Ces œuvres, véritables objets-sculptures, associent porcelaine et bronze doré en référence aux objets les plus luxueux produits au XVIIIe siècle.

Mighty Fountain 70 (The Kubla Khan Series) 1/8, Lignereux, 2017
Gonzague Mézin (créateur d’objets rares), Atelier Cabiria (bronziers d’art), Tanya Gomez (céramiste)
© Lignereux / Marie-Honorine Buisset
Paire d’aiguières en porcelaine de Chine à couverture aubergine, monture en bronze doré par Pierre Gouthière, c. 1785, abritées par Lignereux pendant la Révolution
Collection privée
© Thomas Hennocque

Ces cinq créations ont pour source le poème intitulé « Kubla Khan » composé en 1797 par Samuel Taylor Coleridge (1772-1834) poète et critique anglais, poème où l’Orient et l’Occident se dévisagent dans une fascination mutuelle. Elles sont aussi la représentation des quatre éléments : l’Eau comme le céladon liquide et jaillissant de « Mighty Fountain 70 », la Terre avec ses globes rugueux enlacés de serpents de la paire de sculptures « Breathing Earth », le Feu jaillissant de « Voices » et l’Air impalpable entre les nuages du mobile « Pleasure-Dome ».

Voices (The Kubla Khan Series) 1/8, Lignereux, 2017
Gonzague Mézin (créateur d’objets rares), Atelier Cabiria (bronziers d’art), Samuel Yal (céramiste-sculpteur)
© Lignereux / Marie-Honorine Buisset
Pendule Apollon, modèle de Lignereux au début du XIXe siècle, Pierre-Philippe Thomire, c. 1800
Bronze doré et bronze patiné, griotte rouge, émail. Musée des Arts décoratifs. Inv. 23735
© MAD, Paris / Jean Tholance

La maison Lignereux, fruit de l’association des marchands-merciers Dominique Daguerre et Martin-Eloy Lignereux fut l’un des plus prestigieux commerces d’objets d’art de la fin du XVIIIe siècle où la préciosité des matériaux rivalisait avec l’invention de formes nouvelles originales. En 2016, sous l’impulsion de Gonzague Mézin (né en 1982), la maison qui avait cessé toute activité au début du XIXe siècle, reprend vie. Gonzague Mézin dessine et conçoit des objets issus de la grammaire de la Maison Lignereux, façonnés ensuite par un collectif d’artistes et d’artisans français et anglais : l’Atelier Cabiria (bronziers d’art), les artistes céramistes Thiébaut Chagué, Tanya Gomez et Laura Murphy et le sculpteur Samuel Yal.

Breathing Earth (The Kubla Khan Series) 1/8 et 2/8, Lignereux, 2016-2017
Gonzague Mézin (créateur d’objets rares), Atelier Cabiria (bronziers d’art), Thiébaut Chagué (céramiste-sculpteur)
© Lignereux / Marie-Honorine Buisset
Paire de vases en bois pétrifié et monture de bronze doré, c. 1780, abrités par Lignereux pendant la Révolution
Bois pétrifié, bronze ciselé et doré. Musée Nissim de Camondo. Inv. CAM 153
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

Présentées au sein de quatre salles du département des XVIIe et XVIIIe siècles, ces œuvres contemporaines, qui portent aussi un regard sur le monde actuel et l’humain, entrent en résonance avec les collections et révèlent tout ce qu’elles doivent aux formes du passé, source inépuisable d’inspiration. La présence du bronze ciselé et doré apportant force et éclat précieux à des matériaux ou des formes traditionnelles ou insolites mais toujours empreintes de poésie s’inscrit dans une sorte de continuité avec les œuvres de Pierre Gouthière et leur fait écho.

Le catalogue

LE LIVRE

Première monographie sur Pierre Gouthière depuis 1920, ce volume apporte des informations inestimables sur un artiste aux talents inégalés. Cette étude présente le fruit de nouvelles recherches, des notices détaillées, contenant plus de 40 planches correspondant à autant d’œuvres attribuées avec certitude à l’artiste, ainsi que des textes écrits par des spécialistes qui analysent la vie, la carrière, la clientèle et les techniques de dorure de Gouthière. Le lecteur trouvera également à la fin de l’ouvrage deux annexes, une bibliographie et un index.

LES AUTEURS

• Charlotte Vignon est conservatrice des arts décoratifs à la Frick Collection, New York.
• Christian Baulez est un historien français spécialisé dans les arts décoratifs et architecture du XVIIIe siècle et conservateur général honoraire du patrimoine du musée national de Versailles et de Trianon.
• Anne Forray-Carlier est conservatrice en chef du département XVIIe au XVIIIe au Musée des Arts Décoratifs, Paris.
• Joseph Godla est restaurateur en chef à la Frick Collection, New York.
• Helen Jacobsen est conservateur en chef à la Wallace Collection, Londres.
• Luisa Penalva est conservatrice des collections d’orfèvrerie et de bijoux au Musée National d’Art Ancien, Lisbonne.
• Anna Dudyiska est conservatrice des collections d’orfèvrerie et de bronze au Château royal de Varsovie.
• Emmanuel Sarméo est historien de l’art indépendant.

Prix de vente : 65 €
Distribution : Daudin
450 pages
Format : 24,5 x 29,5 cm


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1 COMMENTAIRE
  • retraité
    20 mars 2017 11:12, par gouthiere jean

    A ma connaissance, l’oeuvre maitresse de ce bronzier fut le lustre du Petit Trianon. J’ai trouvé il y a plusieurs années un livre le concernant au Centre Pompidou, je n’en ai pas gardé les références. J’ai retenu qu’il était le bronzier de Mme de Pompadour qui ne le payait pas ! Et qu’il était mort sans descendance dans la misère.

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