Les collections particulièrement riches du Musée des Arts Décoratifs de Paris, associées à de nombreuses pièces très prestigieuses provenant des grandes collections françaises telles que les musées nationaux des châteaux de Fontainebleau, de Malmaison, de Versailles et de Compiègne, le Mobilier National, le musée de la Céramique de Sèvres et les archives de la manufacture nationale de Sèvres, le musée national de la Légion d’Honneur, permettent de comparer les différentes images du régime.
250 objets : mobilier, pièces d’orfèvrerie, céramiques, textiles, papier peint sont ainsi réunis dans la grande nef des Arts Décoratifs, dans une scénographie confiée à Philippe Renaud.
Les symboles du pouvoir victorieux
Les signes et les symboles qui ont été choisis au lendemain de la Révolution pour affirmer le pouvoir politique impérial remontent à l’Antiquité. Mais leur graphisme et leur juxtaposition en font des images d’une force inhabituelle dont l’écriture a été réglée par les deux grands architectes du régime, Charles Percier et Pierre-François Fontaine ; dans leur discours simple et clair, qu’il soit plastique ou écrit, ils ont fait de l’unité de goût l’un des vecteurs de l’identité nationale. Comment ces images qu’ils ont construites se sont-elles répandues des lieux publics jusqu’à l’habitat privé ? Au sortir de la Révolution, l’environnement quotidien se caractérise par une nécessaire sobriété des formes. Les goûts simples de Bonaparte, chef emblématique des armées et du clan familial, s’accordent avec ce besoin de se concentrer sur l’essentiel : le fonctionnalisme domestique, déjà amorcé à la fin du XVIIIe siècle, prend force de loi.
Le choix des emblèmes impériaux : l’aigle et l’abeille
L’Empire s’affirme en adoptant la figure de l’animal par opposition à la fleur de lys royale. L’aigle renvoie au mythe des origines de Rome, fondatrice de la civilisation, et l’abeille à la lignée des rois mérovingiens. Ces images sacrées, expressions totémiques du pouvoir, ont eu pour fonction de désigner le chef politique, sauveur héroïque, héritier direct de l’Antiquité, et de donner à sa victoire une dimension collective et historique.
L’image politique au quotidien
La feuille de laurier, la palme, le bouclier, le casque, le trophée militaire sont des images ancestrales et récurrentes de victoire ; leur positionnement aux endroits stratégiques du meuble ou de l’objet, la clarté de leur dessin, leur donnent le statut d’emblèmes politiques compréhensibles par tous. La figure du guerrier associée à celles féminines, de la renommée et des sphinges, vigilantes gardiennes du régime, expriment les valeurs sur lesquelles s’est fondé le pouvoir : la force et le sérieux. Leur répétition systématique permet une insistante intrusion dans les sphères les plus intimes de la vie privée.
Les pouvoirs de la séduction
L’amour, la nudité et la séduction se sont également immiscées, pénétrant largement cette société dominée par le fait militaire. L’ornement suggère alors de complexes imbrications, souvent contradictoires, entre public et intime, sexualité affichée ou cachée. Les images liées aux pouvoirs de la séduction apparaissent sous de multiples formes plus ou moins métaphoriques, parfois extrêmement subtiles parmi lesquelles l’image de la femme nue, de l’éphèbe, du cygne, du papillon , de la psyché, de la fleur..
Danses et nudités
Qu’elle soit allégorie de la Victoire, des Saisons ou de la Beauté, l’image de la femme est souvent associée à celle du mouvement et du vent qui défait les chevelures et balaye les vêtements, révélant les formes et dénudant ce qui est caché. L’image de la séduction n’est pas exclusivement féminine : le guerrier victorieux est aussi un jeune éphèbe nu, héros désarmé hérité de l’Antiquité. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que soit née la psyché, grand miroir basculant spécifique des chambres féminines les plus luxueuses. Pour la première fois dans la culture occidentale l’image de la nudité totale de soi se révèle dans l’intimité de la vie quotidienne. Naît alors la redoutable question de l’image du corps : celle que renvoie le miroir confronté au corps idéal devenu motif, représenté sur les objets domestiques. Or ce nouveau canon s’éloigne fortement des formes voluptueuses de la représentation de la femme de la fin du XVIIIe siècle.
Le cygne et le papillon
L’expression du sentiment amoureux passe souvent par l’animal, ici non totémique. Le cygne, allégorie antique d’Apollon amoureux sous l’Antiquité, semble réapparaître dans l’ornement, à la faveur de l’engouement qu’il a suscité dans les parcs sous le Consulat. La courbure de son col devient l’image de la sensualité, relayant ainsi les enroulements du serpent ou du dauphin, chers au XVIIIe siècle. Le papillon, dont les ailes sont l’un des attributs de Psyché, symbolise l’âme féminine imprévisible et inconstante. Souvent présent et cependant peu connu, il représente la fragilité du sentiment amoureux.
La fleur dionysiaque
L’abondance et la variété très colorée de la flore frappe dans la rigueur qui prévaut. Les vases débordant, les guirlandes généreuses renvoient aux thèmes dionysiaques. Mais cette opulence, née de la victoire militaire et de la pacification politique, s’inscrit dans une logique de contrainte : la nature libre et sauvage est ici maîtrisée, enrubannée dans une rigoureuse symétrie.
La volonté du pouvoir impérial de forger un art officiel en passant d’importantes commandes auprès des manufactures nationales a servi d’exemple : la diplomatie a été un argument essentiel dans la production d’œuvres exceptionnelles et tous les grands artisans de cette époque ont participé au nouveau langage plastique dans lequel la sobriété des formes a été confrontée au luxe : l’orfèvrerie, le bronze, les soieries, la porcelaine, les bijoux ont ainsi contribué à la propagation d’un style dépassant les frontières de la cour impériale et la sphère publique pour pénétrer l’intime et l’habitat privé.