L’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie trouve ses origines dans la période des Lumières. L’abolition des corporations par la loi d’Allarde et par la loi Le Chapelier en 1791 laisse un immense vide dans le milieu artisan et ouvrier. Beaucoup y voient les causes des maux qui ont touché les arts industriels au siècle suivant : la désorganisation, le manque de goût, la soumission au « caprice » du commanditaire1. Quelques années avant Chaussard, en 1794, l’abbé Grégoire formule l’idée d’un musée-école pour les artisans, qui donne naissance au futur Conservatoire national des arts et métiers. En 1796, l’historien de l’art et politicien Toussaint-Bernard Émeric-David, persuadé que les beaux-arts ne peuvent être séparés des arts industriels et qu’ils doivent au contraire les éclairer, émet l’idée d’un musée d’art industriel. Une première exposition des produits de l’industrie est organisée en 1798 par François de Neuchâteau, écrivain et politicien. Ces hommes sont les précurseurs de l’Union centrale. Des artistes reprennent le flambeau pour une raison évidente : un musée revaloriserait les arts industriels et les mettrait sur un pied d’égalité avec les beaux-arts. Quand est fondée en 1845 la Société de l’art industriel sous la direction de l’ornemaniste Amédée Couder, secondé par le sculpteur Jules Klagmann et par Édouard Guichard, dessinateur pour l’industrie textile, les artistes industriels tentent avant tout de faire reconnaître leurs droits, à signer les pièces et à intégrer le Salon des beaux-arts2. La première Exposition universelle à Londres, en 1851, constitue un tournant.
L’événement fait naître un sentiment d’injustice et de frustration chez les Français qui se sentent dépossédés. Ils pensent en effet être les inventeurs de ce premier rendez-vous international. Quand au lendemain de l’exposition est décidée la création du Museum of Manufactures à Marlborough House, bientôt connu sous le nom de South Kensington Museum, l’amertume est encore plus forte. Trois textes – deux mémoires et un placet – sont alors remis à l’empereur le 25 novembre 1852 par un « Comité central des artistes et des artistes industriels ». Il s’agit de demander à l’État d’instaurer un musée des beaux-arts industriels, une école centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie et des expositions spéciales des œuvres des artistes industriels. Ces requêtes portées par Klagmann avec le dessinateur Charles-Ernest Clerget et le peintre Pierre-Adrien Chabal-Dussurgey, sont signées par cent vingt-six artistes, peintres de Sèvres, dessinateurs industriels, ornemanistes, architectes, sculpteurs, graveurs ou encore joailliers.
Au-delà de l’angoisse liée à la montée en puissance de la Grande-Bretagne qui se dote très rapidement d’écoles et de musées – le terme « South Kensington français », fréquemment employé dans la littérature contemporaine pour désigner le projet de l’Union centrale, traduit un mélange de fascination et d’agacement –, Klagmann proclame dans l’avant-propos des textes de 1852 : « En dehors de tous les systèmes qui agitent le monde, un fait reste acquis et incontestable, c’est que le travail ou l’industrie doit être désormais le grand mobile de l’activité humaine. Il paraît presque puéril d’entreprendre de réhabiliter l’ART, et d’effacer cette espèce d’anathème dont il a été frappé par la philosophie de l’auteur du Contrat social, puisque des ruines d’une société qui s’est écroulée, pour la plus grande partie, au contact de ces doctrines, il surgit, non pas un monde qui retourne à un mythologique état naturel, mais un monde qui cherche dans le travail le développement des destinées humaines3. » Les arts industriels ne sont plus l’affaire de l’élite ou de quelques artistes en mal de reconnaissance : ils deviennent la vitrine de la production française à l’heure des grandes expositions internationales et, de ce fait, jouent le rôle de « moteurs » politiques et économiques qu’il ne faut pas négliger. Ils ont également un rôle moral à jouer par la diffusion du goût auprès de toutes les classes sociales et par la formation des ouvriers et des artisans4. L’artiste – acteur principal du nouvel ordre social énoncé par Henri de Saint-Simon5, ou génie éclaireur de l’industrie dans la pensée de Léon de Laborde6– doit être le lien entre les beaux-arts et l’industrie, celui qui unit les deux domaines. Jean-Léon Gérôme, chantre de l’Académie et cofondateur de l’Union, ou François-Émile Ehrmann, auquel fut commandé le décor représentant l’Union de l’art et de l’industrie, qui tous deux collaborent régulièrement avec les manufactures, en sont les modèles. Cependant, le temps passe et leurs revendications ne connaissent aucune concrétisation.
L’association prend le nom de Société du progrès de l’art industriel en 18587. En 1861, par l’entremise du baron Taylor, les membres de la Société obtiennent le droit d’organiser une première exposition au sein du palais de l’Industrie, dont la commission d’organisation est présidée par Guichard. Les trois sections8 sont une tentative pour « définir un art qu’on ignore et qui s’ignore », selon les mots du secrétaire général de la société, Théodore Labourieu9. Si le succès n’est pas au rendez-vous, la deuxième exposition organisée en 1863 accueille 200.000 visiteurs et génère des bénéfices. Elle est l’élément déclencheur de la fondation de l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, décidée dès 1863, autorisée par décret ministériel le 26 juillet 1864 et par arrêté préfectoral le 3 août 1864.