À l’occasion de la 16e édition des D’Days qui se tient à Paris du 30 mai au 5 juin, le Musée des Arts Décoratifs, institution mère de la discipline, reçoit en ses murs une programmation volontairement décloisonnée, au croisement des disciplines créatives et des pratiques quotidiennes, avec des acteurs reconnus et émergents. Différents espaces de l’institution ont été investis en mariant notamment designers et artisans dans des formats innovants. D’Days allume la lumière froide avec le travail de Daan Roosegaarde, révèle la création taïwanaise contemporaine avec l’exposition Taïwan – Unfolding et fait découvrir l’œuvre de Ramy Fischler – L’image éclaire – qui investit les champs du MAD, des nouvelles technologies et des arts contemporains.

Taïwan – Unfolding
Galerie des jouets - du 30 mai au 19 juin 2016

Matière historiquement très présente dans la culture taïwanaise, le papier est sacré dans les traditions populaires, les fêtes ou les rituels religieux. L’industrie et l’artisanat contemporain se sont appropriés cette force et ont su perpétuer l’usage du papier au quotidien, bien au-delà des deux dimensions de l’écriture. Cette exposition est la preuve d’un design qui invente, réinvente, innove tout en s’inscrivant dans la tradition.

Cette exposition protéiforme propose une découverte progressive des différents usages du papier, à la fois traditionnels et contemporains. Elle dévoile les liens qu’entretiennent les artisans, artistes et designers taïwanais avec ce matériau qui est au cœur des traditions populaires. L’industrie et l’artisanat contemporain se sont appropriés ses qualités et ont su en perpétuer l’usage au quotidien. Cette exposition a été conçue de manière ludique et pédagogique pour montrer les qualités artisanales de Taïwan. Pour cela, sont présentées des offrandes en papier de Hsin Hsin, les œuvres fantastiques de l’artiste M. Hung, un espace pédagogique du Suho Memorial Paper Museum et un choix éclectique de créations de design contemporain.

Xu-Pei Zhang

© Xu-Pei Zhang

Xu-Pei Zhang est un artisan créateur d’offrandes en papier officiellement reconnu par la ville de Taipei. Ayant hérité d’un savoir-faire vieux de plus de 120 ans, il a fondé Hsin Hsin Paper Sculpture avec sa famille, pour transmettre cette tradition unique aux prochaines générations. L’art de l’effigie en papier incarne le respect du monde des vivants envers celui des esprits. Bien que les procédés de fabrication ce soient largement industrialisés aujourd’hui, l’atelier Hsin Hsin continue à travailler de manière artisanale et recherchée pour réaliser des objets, personnages ou animaux dédiés à l’univers spirituel.


M. Hsin-Fu Hung
Maître artisan taïwanais du Pop-up art

© Hsin-Fu Hung

Hsin-Fu Hung travaille avec le papier depuis plus de 30 ans. Pour lui, il s’agit de bien plus qu’un simple matériau : c’est un moyen de communication. « Pour entamer une conversation amicale avec des étrangers, je peux facilement tirer de ma poche un petit morceau de papier et, en le pliant ou en le coupant, instaurer un dialogue. » Inspiré par “Formosa” (la belle Taïwan) et par la flore et la faune de son pays, il donne vie à un message d’amour et de respect universel pour la terre et ceux qui l’habitent.

Espace pédagogique
en collaboration avec le Suho Memorial Paper Museum

En octobre 1990, un avion s’écrase dans la province du Guangdong en Chine, causant la mort de Su-Ho Chen, fondateur de Chang Chuen Cotton Paper Company, et de son épouse. Avant ce tragique accident, Su-Ho rêvait de fonder un musée consacré au papier. Son rêve se concrétise quelques années plus tard grâce à ses enfants qui créent le Suho Memorial Paper Museum. En octobre 1995, il ouvre enfin ses portes. Sachant que la vitalité d’un musée dépend de la qualité d’interaction avec ses visiteurs, le Suho Memorial Paper Museum propose des animations et activités encourageant leur participation. Parmi les initiatives du musée : des événements liés au papier, des ateliers de formation, des expositions d’oeuvres d’artistes impliquant la communauté locale, ainsi que des collaborations et des programmes éducatifs en partenariat avec des organisations tierces. Enfin, par une démarche systématique de collecte et de classification d’objets manufacturés en papier, ses fondateurs souhaitent faire du Suho Memorial Paper Museum un musée qui reflète la culture de Taïwan.

Contemporary paper design

La scène du design contemporain taïwanais est jeune, riche et inventive. Ses designers manipulent des compétences artistiques et techniques avec talent pour donner vie à des créations originales. Ils ouvrent ainsi de nouvelles perspectives en respectant et en préservant les traditions. Ray Liang en est un bon exemple : à partir du papier cérémoniel traditionnel local, il a utilisé un savoir-faire unique pour créer avec poésie un objet contemporain. Les travaux sélectionnés présentent la manière dont ces designers ont exploré les différentes possibilités d’utilisation du papier, un matériau emprunté à leurs vies quotidiennes, revisité et finement transformé.

Chun-Tai Chen

© Chun-Tai Chen

Chun-Tai Chen est inspirée par l’évolution des éléments dans la nature, comme par exemple un arbre, un ruisseau, une pierre ou la lumière qui se matérialisent dans ses œuvres. Avec ces séries, en le laminant, le teintant et le découpant, le papier se transforme en bijoux précieux. Le papier, d’une délicatesse unique, est utilisé par Mrs. Chen en tant que matière primaire, lui associant ensuite du métal et d’autres matériaux complémentaires. Le métal est incorporé, mis en forme et martelé afin de créer de subtiles variations de textures. La résine translucide permet quant à elle d’obtenir une dimension visuelle différente.


Sally Lin et Yutaka Hasegawa
En collaboration avec l’artisan japonais Yutaka Hasegawa, Sally sublime les motifs et reliefs du papier washi afin de révéler les compétences délicates de ses fabricants basés à Kurayoshi (Japon). Élaborées à partir de fibres Kozo, des pâtes à papier de différentes couleurs ont été utilisées au cours du processus d’élaboration d’images aléatoires.


Chi Ping Chu - Paper space

© Chi Ping Chu

Diplômé en Arts Appliqués à l’Université Nationale des Arts de Taïwan, Chi-Ping CHU a créé Paper Space en 2006 après trente ans d’expérience en communication. Il apprend et s’inspire de la nature, puis il associe avec harmonie la créativité, l’originalité et une touche de design. Avec une approche quasi artistique, Chi-Ping CHU va au-delà de la simple application du papier à plat pour réaliser des modélisations en 3D de personnages complexes, d’animaux et d’autres objets aux aspects solides et gracieux.


Ideoxo

© Ideoxo

“Phain” signifie “porter” en Taïwanais. Le concept vient des sacs de ciment que les ouvriers des chantiers portaient autrefois sur leurs épaules. Ces sacs étaient résistants à l’eau, épais et très solides. Victor Chun-Chieh Wang, Designer en Chef d’IDEOXO, qui fait partie de IDEOXO Design Consultancy Inc. utilise ces caractéristiques pour créer des accessoires du quotidien uniques, modernes et respectueux de l’environnement. Les produits sont l’expression directe de leurs idées créatives. Leur volonté est d’utiliser les ressources naturelles de Taïwan ainsi que sa culture locale comme sources d’inspiration.


Nbt Studio

© Nbt Studio

Créé par Henry K.T. Hsiao en 2011 à Taipei, Nbt.STUDIO est un réseau de collaborateurs aux pratiques multiples qui partagent les mêmes visions et objectifs afin d’enrichir notre futur de produits et solutions durables. Nous appliquons nos savoir-faire à plusieurs domaines tels que la conception de produits et d’espaces, le branding et le design interactif, à travers l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord. Avec la devise « Apprécier la culture, respecter l’environnement et embrasser la technologie », nous marions les techniques traditionnelles et les technologies modernes pour donner naissance à des objets décoratifs et fonctionnels.


Chien-Li Lin et Yu-Hsuan Liao

© Chien-Li Lin et Yu-Hsuan Liao

Ce travail est inspiré par la longévité des “joss” (statues de divinités chinoises) qui, couverts par un chiffon de papier, peuvent être préservés durant plus de 600 ans, ainsi que par Toshiyuki Kita, un artisan traditionnel local aux idées futuristes. Le “papier en tant qu’arbre” est l’idée centrale de ce projet. En combinant le savoir-faire traditionnel chinois du moulage en papier, Chien-Li Lin et Yu- Hsuan Liao ont créé une collection de mobilier écologique et comparable aux meubles en bois en termes de longévité et de robustesse.


Wei-Jun Wang

© Wei-Jun Wang

OVAL est un canapé fabriqué à partir de papier toilette. Pour compenser la fragilité et le manque de structure de ce papier, Wei-Jun utilise de la colle blanche afin de durcir la matière. Couche après couche, il parvient à obtenir la solidité souhaitée. Et afin de répondre aux contraintes de poids du corps, il a installé un dispositif interne circulaire comme structure colonnaire.


Chiao-Yi Wu

© Chiao-YI Wu

Diplômée du Hiko-Mizuno College of Jewelry de Tokyo (Japon) en 2005, Chiao-Yi a travaillé dans le secteur de la mode durant plusieurs années. Son goût pour la création de bijoux a été initié dès son enfance par ses parents qui évoluaient dans le secteur de la bijouterie fantaisie. Pour Chiao-Yi, le recyclage est un moyen d’interroger la notion de valeur. Elle se sert notamment des vieux magazines de mode qui ont nourri son adolescence. Aujourd’hui ses mains leur donnent une nouvelle vie et de nouvelles formes. De même que faire la cuisine avec les restes du dernier repas, la mise en scène de matériaux recyclés amène la surprise...


Ray Liang

© Ray Liang

Diplômé du Département de Design Industriel de l’Université Shih Chien, Ray travaille actuellement en tant que designer industriel. Il s’engage en faveur de la préservation des traditions culturelles taïwanaises à travers le design, avec l’objectif de transmettre des valeurs traditionnelles de génération en génération. Les billets funéraires, aussi appelés “Papier d’or”, sont des imitations de monnaie brûlés lors de rites afin de fournir de l’argent aux défunts pour leur séjour dans l’au-delà. Il s’agit d’une tradition associant un savoir-faire unique et un sens philosophique. Basé sur une signification rituelle commune à “prier” et “manger”, Home Craft est une métamorphose du Papier d’or vers une salle à manger contemporaine.

Daan Roosegaarde - Luminor
Hall des Maréchaux – 103, rue de Rivoli

D’origine néerlandaise, Daan Roosegaarde consacre, depuis plus de 10 ans, ses recherches aux relations entre l’homme, l’espace et la technologie en s’intéressant particulièrement à la lumière. Ses projets réagissent aux comportements humains : chaleur, toucher, mouvement et son. Il pense toujours la nature et la cité de concert, pour créer une nouvelle poésie. Poésie et technologie sont en effet, dans son œuvre, réconciliées. La lumière n’est plus considérée comme un éclairage, elle est immanente et se retrouve dans sa relation à l’homme. Son travail, souvent interactif, tisse des liens entre l’œuvre et le visiteur, et également entre les visiteurs eux-mêmes.

Les inventions de nouvelles sources lumineuses ont jalonné l’histoire de l’humanité ; elles ont révolutionné nos façons de vivre, nos activités quotidiennes, l’ambiance de nos villes. Après la bougie, l’ampoule à incandescence et le fluo, c’est au tour des leds et de la luminescence d’annoncer une nouvelle ère, empreinte de lumière artificielle.

© Daan Roosegaarde

Fournisseur officiel des militaires de la Marine italienne, la société Panerai a déposé de nombreux brevets sur l’innovation technologique et particulièrement sur la substance luminescente : le Luminor. Elle a révolutionné la lisibilité nocturne et sous-marine du cadran de la montre éponyme. Cette remarquable substance luminescente est restée pendant de nombreuses années un secret militaire jalousement gardé. Grâce à elle, les commandos de la Marine Royale Italienne pouvaient mener à bien leurs extraordinaires missions nocturnes dans les profondeurs de la mer, équipés d’instruments créés spécialement par l’horloger florentin. C’est donc avec un partenaire légitime que D’Days propose une expédition dans un nouveau monde, celui de la lumière froide.

Ramy Fischler - L’image éclaire
Galeries XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles - du 30 mai au 12 septembre 2016

Créateur belge, Ramy Fischler vit depuis 1998 à Paris. Diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle (l’ENSCI-les-Ateliers), il pratique la création de manière éclectique, alternant ou associant les projets de design industriel, artisanal, prospectif et d’architecture d’intérieur. Collaborateur de Patrick Jouin entre 2001 et 2010, il est ensuite Lauréat de la Villa Medicis. En 2011 Ramy Fischler crée RF studio.

L’œuvre présentée est le fruit de l’invitation du designer par Alain Fleischer du Studio National des Arts Contemporains au Fresnoy lui proposant de travailler sur la relation entre le monde de l’industrie du luminaire et celui du cinéma, de produire un « film qui serve à éclairer », et de rapprocher ainsi le monde du cinéma à celui du design. Selon lui, il implique intrinsèquement un rapport cinématographique au réel, puisqu’il s’agit de créer des histoires, d’anticiper l’avenir.

L’œuvre de Ramy Fischler « fait de la lumière » dans tous les sens du terme, en ce qu’elle en développe et réunit toutes les significations originelles : corps luminescent ; clarté elle-même ; ce qui donne de l’éclairage, au sens pratique comme au sens métaphorique.

Le cinéma, il y a peu, était associé aux projecteurs et à la pellicule, l’éclairage, aux ampoules à filaments. Aujourd’hui, cinéma et éclairage utilisent la même technologie, et les mêmes modes opérationnels. Ces mondes ont donc une vie « industrielle » commune et continuent cependant à mener des vies quotidiennes parallèles. Ramy Fischler a souhaité fusionner ces univers. En exploitant l’éventail des ressources ouvert par les nouveaux outils domotiques, le designer opère une extension de la fonction première du luminaire à la possibilité d’en faire le moteur d’expériences, où tout est possible : créer des séquences du soir, des séquences du matin, moduler ses couleurs, le faire interagir avec son environnement, etc. Mettre en acte la puissance narrative de la lumière.

Par ailleurs, le designer a articulé ce projet à un sujet qui l’occupe dans la plupart de ses recherches : l’objet connecté, qu’il considère comme l’avenir du monde industriel. Les objets connectés sont par définition à rebours de l’obsolescence, puisqu’ils évoluent, se régénèrent, s’adaptent à leurs utilisateurs, s’enrichissent de nouvelles informations, de nouveaux logiciels. Mais leur avenir et leur place dans notre quotidien reste à définir, à questionner.

L’image éclaire est ainsi née aux entrecroisements de trois mondes : le luminaire, le cinéma, l’objet connecté. Une préoccupation accompagne Ramy Fischler dans tout processus de création : celle de penser avant tout la façon d’utiliser la nouvelle technologie, d’y porter toujours un regard critique. Une caméra, un smartphone, ou tout autre objet de cette typologie, apparaît de prime abord comme un outil de liberté, mais chacun sait qu’il peut aussi devenir un outil de surveillance, d’oppression et de guerre. Derrière la technologie, il y a la réalité : celle des conflits de territoire pour les minerais précieux dont sont issues les composantes de nos objets connectés, une forme d’esclavage contemporain. Le seul fait d’utiliser ces nouvelles technologies mettant en branle tous ces engrenages, à fortiori de les fabriquer, conduit à se situer dans un rapport inconfortable, ambigu, paradoxal à l’humanité.

Les images que l’artiste a choisi de filmer pour ces écrans-luminaires traitent métaphoriquement de cette problématique qui l’anime : l’exploitation d’une partie de l’humanité par le monde de la technologie. A l’image, ce sont des gens qui nous éclairent, au sens figuré, depuis l’autre bout du monde, en assurant le fonctionnement de nos services quotidiens, de la téléphonie aux réseaux sociaux. La technologie n’existe pas de manière intrinsèque ; en toile de fond, il y a l’humanité.

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