Marquée par la crise économique de 1929, cette décennie est cependant riche en innovations. Dans le domaine de la joaillerie, de fortes personnalités féminines prennent la tête des ateliers : Jeanne Toussaint chez Cartier, Suzanne Belperron chez Jeanne Boivin, tandis que chez Van Cleef & Arpels débute une collaboration fructueuse entre la directrice artistique Renée Puissant et le dessinateur René-Sim Lacaze.
La Minaudière
Conçu en 1933, ce sac du soir est inspiré à Charles Arpels par Florence Jay Gould, l’épouse du magnat du chemin de fer américain. Cliente de la maison, elle conserve dans une grande boîte à cigarettes Lucky Strike les indispensables féminins : poudrier, bâton de rouge à lèvres, briquet, cigarettes… L’idée d’une boîte luxueuse garnie d’un dispositif ingénieux de rangement donne naissance à une grande variété de modèles uniques. Alfred Van Cleef la baptisa Minaudière en hommage à sa femme, Estelle Arpels, qui, dit-on, minaudait volontiers. À l’origine oblongue et plate pour une prise en main facile, la Minaudière remplace peu à peu le sac en tissu ou en cuir assorti à la tenue. Elle est réalisée en or jaune, en laque noire ou en Styptor – alliage de métaux moins précieux. Les premières, ornées d’un jeu de lignes gravées en éventail, sont parfois agrémentées d’un décor en Serti Mystérieux. Certaines, conçues en laque, sont décorées d’une volute ou bordées d’une frange de diamants. À la fin des années 1930, quelques décors figuratifs apparaissent, composés d’oiseaux ou de motifs végétaux stylisés adoucis par les courbes.
Le Modernisme
À la fin des années 1920, de nouvelles parures adaptées à la femme moderne apparaissent dans la bijouterie et la joaillerie. Les bijoux présentent des formes géométriques plus volumineuses. Les couleurs monochromes sont associées à des matières subtiles, les surfaces mates comme la calcédoine côtoient des surfaces brillantes comme l’or, davantage présent dans les créations et visible dans la parure Chapeau chinois présentée à l’Exposition coloniale de 1931. Les pierres dures sont associées aux diamants, le cristal de roche à l’or, comme l’illustre une série de bracelets aux lignes épurées composées de demi-cercles reliés entre eux par des têtes de clou. Les effets de la crise économique suscitent la création de bijoux à transformation caractéristiques du style Van Cleef & Arpels : les clips, souvent doubles, peuvent être associés ou portés seuls, tels les clips Flamme en brillants et diamants baguettes, que l’on met selon sa fantaisie en broche au revers d’un tailleur, sur un chapeau ou dans la coiffure. Les clips Puzzle, pyramides aux arêtes vives, ou les clips Copeau, alternant diamants brillants et baguettes, montés sur platine ou or blanc, participent à cette modernité.
Le bracelet Ludo
Ce modèle de bracelet est baptisé Ludo en hommage au surnom donné à Louis Arpels. Souple, son ruban en or lisse est constitué d’une maille de motifs baptisés « briquettes » (1934) ou de petits hexagones à « ruches » (1935). Ces fines rangées qui s’articulent entre elles sont souvent parsemées de diamants ou de rubis cabochons. Le bracelet se prête à toutes les fantaisies et connaît plusieurs variantes : il est couronné d’un riche fermoir imitant les boucles de ceinture ou d’un motif à « pont » décoré en Serti Mystérieux auquel sont assorties des boucles d’oreilles et des bagues.
L’Exposition de 1937
L’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne est inaugurée le 24 mai 1937 à Paris, Georges Fouquet préside la classe 55 : « Joaillerie, bijouterie, horlogerie fine ». Sur le plan esthétique, les formes géométriques sont peu à peu délaissées au profit d’un répertoire ornemental à base de courbes et d’arabesques. Des thèmes naturalistes y font cependant aussi leur apparition. La maison Van Cleef & Arpels présente des bijoux réalisés en Serti Mystérieux ainsi que des parures particulièrement remarquées en rubis et diamants. Des colliers ras du cou à enroulements et volutes, des doubles clips Éventail ou Flots de rubans, des bracelets Jarretière, tous participent à ce renouveau. Le diamant, vedette incontestée de la joaillerie des années 1930, est toujours très présent, taillé principalement en baguette ou en brillant ; il est associé à des rubis, à des saphirs ou à des émeraudes ovales facettés, montés à griffes sur platine.
Le Serti Mystérieux
Van Cleef & Arpels est particulièrement célèbre pour cette véritable révolution dans l’art de monter les pierres précieuses. Déposé en 1933, le brevet, inspiré des micromosaïques romaines du XIXe siècle, permet de fixer les pierres – rubis et saphirs essentiellement – sans monture apparente, laissant jouer à la surface de subtils jeux d’ombre et de lumière. Chef-d’œuvre de virtuosité, le Serti Mystérieux donne naissance à des pièces uniques révélées lors de l’Exposition de 1937. La fleur, thème privilégié tout au long de l’histoire de la maison, est déclinée en un choix étonnant de clips : clips Pivoine, Chrysanthème ou le fameux clip Rose créé pour la cour d’Égypte, qui totalise à lui tout seul 614 rubis et 214 émeraudes. Au cours des années 1940 et 1950, le motif de la feuille s’épanouit dans des clips simples ou doubles, Lierre, Vigne, Platane, Houx, dont certains modèles sont réalisés pour la duchesse de Windsor. Le Serti Mystérieux s’applique également à un vocabulaire de formes typiques de ces années : d’abord utilisé sur des surfaces planes ou bombées (comme les décors des Minaudières), il s’étend ensuite à des formes galbées et à des bijoux naturalistes aux volumes variés et imbriqués. Dans les années 1960, les thèmes floraux d’une facture bien reconnaissable perdurent : les clips Trèfle, Anémone ou Feuille de marronnier, composés d’un pavage de pétales en Serti Mystérieux rubis ou saphirs, complété de cœurs en brillants, demeurent un des grands classiques de la maison.
Les nœuds de ruban
Le thème du nœud est abondamment utilisé en bijouterie et en joaillerie dans toute l’Europe à partir du XVIIIe siècle. Il apparaît chez Van Cleef & Arpels sous la forme d’un col avec sa cravate imitant la dentelle. À partir des années 1925, et tout au long des décennies 1940 et 1950, les dessinateurs le déclinent sous forme de clips (nœud simple, géométrique, cocarde…) en diamants brillants et baguettes montés sur platine. Plus étonnant, une série de nœuds aux lignes sinueuses est réalisée, dans les années 1940, en fil d’or agrémenté de diamants, rubis ou saphirs. Dans les années 1980, le nœud de ruban ou de dentelle se décline en clips Pochette ou Mouchoir.
Le Passe-partout
Présenté à l’Exposition internationale de New York en 1939, le Passe-partout est un bijou à transformations multiples. Il est constitué de clips fleurs en or décorés de saphirs de Ceylan bleus, jaunes ou roses venant s’agrafer sur un tour du cou en chaîne serpent souple. Il peut aussi bien se porter en collier qu’en bracelet. Le clip modulable est un accessoire de mode que l’on met au revers d’un tailleur ou devient même ornement de ceinture.