Pour mettre en œuvre cette nouvelle conception du jardin, Achille Duchêne retourne à la géométrie et particulièrement aux jardins de Le Nôtre. En aucun cas, Duchêne ne pastiche le créateur des jardins de Versailles. Le but n’est pas de recréer un jardin du XVIIe siècle mais de retrouver des formes pures pour s’extraire d’un style éclectique jugé daté et artificiel. De Le Nôtre, Duchêne reprend une vision du jardin modelé par l’intelligence, l’importance de l’unité d’ensemble, une méthode rigoureuse. L’historiographie a parfois fait de Le Nôtre un jardinier voulant plier la nature à ses lois et un créateur de jardins monotones. Duchêne comprend qu’il n’en est rien. Le Nôtre ne contraint pas la nature à son projet mais la met en valeur. Cette mise en valeur, Duchêne la matérialise par une certaine théâtralité. La sobriété des cours d’entrée tranche avec la beauté des jardins. L’eau reflète les jeux de lumière, donne vie au jardin et à l’architecture. Duchêne ne saurait pasticher un jardin de Le Nôtre car ce serait imposer à un morceau de nature un modèle défini qui ne lui correspond peut-être pas. Son travail au château de Blenheim en est la parfaite illustration.
Reste que l’héritage de Le Nôtre est très présent dans l’œuvre de Duchêne. Comme l’ont montré Monique Mosser et Michel Baridon, le contexte politique se prête bien à un retour aux créations de Le Nôtre. Depuis 1870, le nationalisme qui se développe dans toute l’Europe incite à définir l’essence d’un art national. Dans le domaine des jardins, Le Nôtre est érigé en modèle de la pensée française. C’est à partir de cette époque que se forge la notion du jardin « à la française », inspiré de Le Nôtre. Choisir le jardin « à la française », c’est s’opposer aux Anglais et à l’affront de Fachoda. Le retour à Le Nôtre peut aussi être interprété comme un rejet du romantisme au profit de l’absolutisme du Roi-Soleil. Maurice Barrès, parmi d’autres, commande à Duchêne en 1910 un jardin de style classique. Toutefois, cette tendance n’est pas l’apanage d’une extrême-droite nationaliste. Marié en 1892 à Gabrielle Laforcade, militante féministe, pacifiste, socialiste puis communiste, Achille Duchêne est familier de l’Internationale Socialiste qui est loin de dénigrer le patriotisme ou l’exaltation nationale. De même, le retour à des lignes géométriques n’est pas le seul fait d’un goût pour Le Nôtre. Après la première guerre mondiale, les formes épurées sont promues par un courant humaniste hellénisant qui se matérialise dans des utopies sociales ou encore dans la Charte d’Athènes. En tournant ses regards vers Le Nôtre et en recourant à la géométrie, Duchêne s’ancre pleinement dans son temps.
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Le goût pour Versailles relève aussi aussi d’un phénomène de mode. La Belle Époque se pique de nostalgie pour le Grand Siècle et les riches commanditaires de Duchêne se plaisent à retrouver dans leurs jardins un peu de l’esprit du château du Roi-Soleil. Lucie Nicolas-Vullierme a mis en lumière la façon dont les treillages, bosquets, théâtres de verdure, broderies et jeux d’eaux sont repris par le paysagiste pour évoquer le Siècle de Louis XIV. À Nordkirchen, pour le duc d’Arenberg, Achille Duchêne s’inspire directement du Bosquet de la Colonnade, réalisé sous l’égide de Jules Hardouin-Mansart à partir de 1685. Se retrouvent le péristyle et ses arcades, les piliers soutenant les colonnes ioniques, la statue trônant au centre. Seule différence, le marbre remplacé par du treillage, que l’architecte affectionne pour les variations architecturales qu’il permet et pour sa capacité à structurer un jardin sans l’alourdir.