Le Centre de création industrielle : pour une approche typologique, épistémologique et systématique du design

L’Union centrale est la première structure à œuvrer en France pour la reconnaissance du design, par l’intermédiaire du Centre de création industrielle (CCI), créé le 24 octobre 1969 grâce à François Mathey, aidé de François Barré, Yolande Amic et Yvonne Brunhammer.

Une institution dans l’institution pour la reconnaissance et la promotion du design

Dans la lignée de l’UAM, des Salons des arts ménagers et des expositions « Formes utiles », le CCI est véritablement envisagé comme un nouveau département de l’Union centrale, sans personnalité juridique distincte. La démarche est d’autant plus innovante qu’elle se distingue des missions traditionnelles du musée, même si l’esprit demeure en accord avec la pensée des fondateurs : « Ainsi, l’activité future de l’Union doit-elle être conçue comme dominée par la préoccupation d’apporter au public français l’un des moyens de vivre, non pas dans un décor plaisant, mais dans un univers où formes et fonctions, utilité et beauté, soient presque naturellement unies1. »

Si la conception du musée a évolué au cours du siècle – « les musées constituent, non pas un répertoire de formes utilisables, mais un moyen privilégié de la familiarité avec le beau2 » – le CCI doit être le levier pour réaliser des objectifs historiques, révisés à l’aune du contexte contemporain. Le Centre occupe six salles aménagées sur deux niveaux du pavillon de Marsan, espace qui est étendu à la fin de l’année 1970 au pavillon X des Halles pour une partie des expositions.

Typologique. La méthode qui préside à la programmation des expositions, à la sélection des produits et à l’organisation du centre de documentation ambitionne de couvrir tous les domaines du quotidien. Elle repose sur quatorze thématiques, appelées « chapitres » : le chauffage, la cuisine, le sanitaire, la table, l’équipement mobilier, la lumière, le second œuvre, les revêtements muraux, les tapis et revêtements du sol, les textiles et le linge de maison, l’audiovisuel, les loisirs, le sport, enfin le mobilier urbain. Son champ d’action est précisément délimité : « Par son centre de documentation et par l’organisation d’expositions, le CCI a pour objet de promouvoir la connaissance et le développement d’une production industrielle témoignant d’une recherche structurelle et formelle cohérente3. » Le centre de documentation a pour mission de mettre à la disposition de tous les informations relatives aux produits de conception contemporaine et de fabrication industrielle, répondant aux critères d’originalité du dessin, de qualité fonctionnelle, de corrélation entre le prix de vente, la qualité technique et la durabilité de l’objet. Chaque produit retenu fait l’objet d’une fiche accompagnée de photographies. Au même titre que le Centre, la documentation offre un lieu de rencontres entre professionnels et consommateurs et un espace d’informations pour le public.

1Bibliothèque du MAD, archives, E3 / 1, article 2, note non signée du 10 avril 1968 intitulée «  L’avenir de l’Union Centrale des Arts Décoratifs  », p. 3.

2Ibid.

3Bibliothèque du MAD, archives, E3/ 1 article 2, extrait d’une note adressée aux partenaires du CCI.

Cinq designers pour une définition du design en 1969

L’exposition inaugurale « Qu’est-ce que le design ? », organisée du 24 octobre 1969 au 15 janvier 1970, pose d’emblée les enjeux identitaires du centre. Cinq designers internationaux y proposent leur définition et leur vision du design qui ne dispose pas encore de substrat théorique en tant que discipline indépendante. Roger Tallon, Joe Colombo, Charles Eames et Fritz Eichler se prêtent à l’exercice de l’entretien et répondent chacun aux vingt-six questions qui constituent le texte du catalogue, avec l’introduction du philosophe Henri Van Lier, les notices biographiques et l’essai de Verner Panton.

Épistémologique. Le catalogue définit les méthodes et le rôle du designer dans la société. Selon Colombo, « Avant d’entamer un travail, le designer doit observer et analyser en une démarche épistémologique le rapport du produit avec l’homme sous tous ses aspects écologique, ergonomique, sociologique, statistique (rapport avec le marché)…1 ». Il complète : « Je ne me comporte ni en artiste, ni en technicien, mais en épistémologue. » Les terrains sur lesquels il peut exercer sont nombreux pour Eichler : « Le design touche à tous les domaines – de la poubelle au module lunaire ; en ce sens, il n’a pas de limites2 » . Il ne s’adresse pas à un type de clientèle ou de consommateurs, mais avant tout « aux besoins » selon Eames3. Le designer ne doit toutefois pas s’égarer et, réfutant l’idée de suivre la morale, Tallon envisage sa discipline comme une prise de conscience : « Je suis cependant convaincu de la nécessité pour le designer de prendre conscience de ses responsabilités sociales et de ne pas suivre l’exemple de l’architecte : il doit renoncer au pouvoir individuel et rester de l’autre côté de la barrière : parmi les "hommes consommateurs" en tant que délégué – responsable de leurs besoins réels4. » Panton explicite les trois exigences fondamentales du travail du designer : la coordination à tous les stades de production, l’adaptation aux besoins du consommateur et la stimulation pour l’environnement contemporain par le traitement des matériaux et des couleurs5.

1Joe Colombo, réponse à la question 2, dans Qu’est-ce que le design  ?, Paris, Centre de création industrielle, 1969, catalogue non paginé.

2Ibid., Fritz Eichler, réponse à la question 4.

3Ibid., Charles Eames, réponse à la question 22.

4Ibid., Roger Tallon, réponse à la question 6.

5Ibid., texte de Verner Panton.

Une programmation – manifeste

Les expositions organisées par le CCI agissent comme les vecteurs de (re)connaissance de la discipline du design nouvellement définie auprès du grand public. Elles doivent également rendre compte de la réalité du marché, des tendances et des recherches contemporaines. L’identité visuelle est entièrement assurée par Jean Widmer.

Systématique. Les quatorze chapitres énoncés plus haut guident la programmation et tous les secteurs de la vie quotidienne sont ainsi conviés : les arts de la table, les fonctions utiles de la maison, les enfants, le mobilier dans l’espace collectif, les luminaires, les vêtements, l’outillage, le son ou l’usine. Cela s’accompagne d’expositions monographiques, portant sur un designer ou une marque – Olivetti, François André, Danese, Push Pin Studios, Jean-Michel Folon –, ou sur une production nationale – la Grande-Bretagne, la Suisse, la France.

Le rythme effréné des expositions – une trentaine entre 1969 et 1973 – dévoile le dynamisme du CCI, mais aussi son utopisme financier. En effet, l’Union centrale l’a créé grâce à ses propres ressources et le finance ainsi jusqu’en 1972, menaçant l’existence des autres départements. Son développement propre se trouve dans l’impasse et dès 1972, il est décidé que le CCI soit transféré au futur Centre Pompidou1. La convention entre les deux établissements entre en vigueur le 1er juillet 1973 et le déménagement des collections s’étale entre 1973 et 1976.

1Bibliothèque du MAD, archives, E 3/ 15.

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