Plusieurs de ces organisations non gouvernementales (ONG) naissent dans le sillage de Mai 1968, à l’image de Médecins du monde en 1971. À la fin des années 1970, les « French Doctors » créent une deuxième vague d’ONG. Ces médecins français qui, au moment de la guerre du Biafra (1968), s’étaient révoltés contre le silence des humanitaires liés par le secret, ont été témoins des pires horreurs. À cette époque, faute de moyens suffisants – la totalité des fonds récoltés étant investis sur le terrain – mais aussi par conviction idéologique, la communication institutionnelle est pratiquement inexistante. Les associations utilisent avant tout les relations presse comme tribune pour sensibiliser le grand public et les prises de parole des fondateurs sont toujours très militantes.
Créées ou soutenues par des intellectuels engagés issus du mouvement de Mai 1968, ces associations partagent avec les graphistes, eux aussi très présents dans ce mouvement,les mêmes notions d’engagement, de combat et de militantisme. C’est donc naturellement que les affiches, alors seul média « publicitaire » à être utilisé, sont pour la plupart confiées à des graphistes, notamment le collectif Grapus et des personnalités comme
Alain Le Quernec ou Roman Cieslewicz. À partir du milieu des années 1980 et au début des années 1990, de nombreuses associations se créent, étendent leurs actions et leur terrain d’intervention. Leur multiplication entraîne une concurrence qui les conduit à se professionnaliser, à penser,en termes de stratégie et de communication institutionnelle (par le biais de l’affichage et de spots télévisés) et donc à se tourner vers les agences de publicité.
L’autre raison qui amène les associations à investir dans la communication institutionnelle est l’urgence de lever des fonds. C’est à cette époque que se fait la répartition des donateurs français entre les différentes associations. Le discours devient plus direct : aux illustrations des graphistes, les publicitaires préfèrent le réalisme parfois cru de la photographie de type journalistique, montrant la victime ou l’humanitaire afin de mettre le public face à une réalité difficile. L’idée est qu’un message choquant sera plus efficace car provoquant un sentiment de culpabilité.
La campagne d’Action contre la faim « Leïla, 100 francs plus tard », en 1994, est sans doute celle qui a marqué ce nouveau type iconographique. Aujourd’hui, si l’utilisation de la photographie est toujours dominante, le photojournalisme a laissé la place à des photographies où le réalisme est mis en scène, comme dans la dernière campagne de la Fondation Abbé Pierre (2007). Ce constat vaut également pour les films publicitaires qui, dans les années 1980 et 1990, privilégient la mise en
scène en prises de vue réelles ou animées. Si, comme les entreprises marchandes, les associations utilisent la communication de marque afin d’inscrire leur nom dans l’esprit du grand public, la différence essentielle dans les campagnes dites institutionnelles est la nécessité de sensibiliser, de faire partager une indignation : pour une association de lutte contre le sida comme Aides, le but premier n’est pas la vente ou le profit, mais une
prise de conscience collective. François Bordas, professeur au CELSA, souligne le fait que « la ressemblance c’est la professionnalisation de la communication, et la différence c’est l’éthique. Une ONG doit se mettre des limites si elle ne veut pas tomber dans le racolage publicitaire ou dans une activité que l’on pourrait qualifier de commerciale1 ». L’autre différence porte sur les moyens financiers : la plupart des associations n’ayant pas les moyens nécessaires pour développer un plan médias, elles cherchent à obtenir auprès de ces derniers de l’espace gracieux. Pour lever des fonds, les associations utilisent essentiellement le marketing direct en sollicitant des sociétés spécialisées en fundraising qui opèrent via des mailings, l’organisation d’événements et toutes autres techniques de marketing (street marketing, mailing, marketing téléphonique, etc.).
C’est pourquoi le gouvernement, via le Premier ministre, délivre chaque année depuis 1997 le label « Grande cause nationale » à un problème social. Les organismes à but non lucratif concernés sont autorisés à diffuser sur les chaînes publiques télévisées et radiophoniques douze spots publicitaires destinés à faire naître une prise de conscience nationale sur le problème mis en évidence. Ce label permet donc sans frais aux organismes ou aux associations désignés de médiatiser un problème de société. En 1997, la grande cause nationale était la protection de l’enfance, en 1998 la défense des droits de l’homme, en 1999 l’esprit civique, en 2000 la sécurité routière, en 2003 le handicap, en 2005 le sida, en 2007 la maladie d’Alzheimer, en 2009 les dons d’organes et en 2010 la violence faite aux femmes.
Ces dernières années, des agences comme Limite ou TBWACORPORATENON PROFIT se sont spécialisées en France dans la communication des grandes causes et ont également développé à l’égard des entreprises marchandes ce que l’on appelle le business éthique ou le goodvertising (la publicité vertueuse) en faisant de l’éthique un thème de marketing dans les pratiques d’entreprise. Le comportement des consommateurs ayant profondément changé – on cherche à être plus éthique, « éco-responsable » –, les marques doivent
désormais prendre en compte ce nouveau phénomène sociétal, en s’appuyant sur ces deux piliers : le profit et l’éthique. Dans un rapport récent sur ce sujet, l’ex-vice-président des États-Unis, Al Gore, dit : « Nous sommes à l’aube du plus grand changement qu’ait connu le modèle économique dans l’histoire de l’humanité et la publicité est en train de jouer le rôle le plus important de son histoire. La communication même du message publicitaire est une partie de la solution, en ce sens que [la publicité] peut mettre ses compétences les plus pointues pour délivrer les solutions2. » L’idée en effet est que la publicité, réussissant à merveille à faire vendre pratiquement tout et n’importe quoi, peut aisément faire « vendre » de vraies solutions pour le bonheur de l’humanité.