La maison Fourdinois est très importante pour l’histoire de l’ébénisterie du XIXe siècle, mais aussi pour l’histoire du goût de son époque, alors caractérisée par les « néo-styles ». Sur seulement deux générations, Alexandre-Georges Fourdinois (1799-1871) puis Henri-Auguste (1830-1907) le fils, la maison Fourdinois connait de nombreux succès aux expositions universelles, devenant la référence dans l’ébénisterie de luxe pour la clientèle d’un Second Empire fastueux1.

1Olivier Gabet. La maison Fourdinois : néo-styles et néo-Renaissance dans le goût et les arts décoratifs de la seconde moitié du XIXe siècle, thèse de l’École des Chartes soutenue en 2000.

Alexandre-Georges Fourdinois (1799-1871)
Cheminée présentée à l'Exposition de Paris en 1855 et de Londres en 1862
Cheminée présentée à l’Exposition de Paris en 1855 et de Londres en 1862
J. B, Waring Masterpieces – Industrial Art & Sculpture – International Exhibition, 1862, London. London, Day & son, 1863, vol. II, pl. 47
© MAD, Paris / Christophe Dellière

Alexandre-Georges se forme dans l’une des principales maisons d’ébénisterie de France, « d’un caractère sérieux, il fut bientôt, malgré sa jeunesse, appelé à diriger l’atelier des sculpteurs de la maison Jacob-Desmalter »1. Il débute avec François-Honoré Jacob-Desmalter, mais ce dernier quittant son poste de directeur de la maison en 1824, Fourdinois travaille par la suite avec le fils Jacob-Desmalter, Georges-Alphonse.

Puis, il s’associe en 1835 avec Jules Fossey, qui a auparavant œuvré en Angleterre chez Crace. Les deux artistes semblent se compléter dans leur façon de travailler, “quand un artiste habile, ayant assez de goût pour concevoir et assez de talent pour exécuter, offre son concours à l’industrie, il devient pour elle un instrument précieux, car il peut tout à la fois interpréter la pensée par le dessin et l’exécuter par le ciseau. C’est l’histoire de MM. Fourdinois et Fossey, qui ont mis pendant longtemps leur intelligence d’artiste au service de la fabrique d’ébénisterie.”2 Face à d’autres grandes maisons d’ébénisterie de l’époque, telles que Grohé, Bellangé, Ringuet-Leprince, Wassmuss, l’association Fourdinois et Fossey rencontre ses premiers succès avec une médaille d’argent à l’Exposition des produits de l’industrie de 1844, par la présentation d’un buffet-dressoir de style Renaissance.

Par la suite, des commanditaires prestigieux font appel à eux comme Louis-Philippe, avec notamment la livraison d’un buffet et de vingt-quatre chaises de style Louis XIII, cher au roi des Français, ou des fauteuils livrés en 1845 pour le grand salon de l’appartement du duc et de la duchesse de Nemours au Palais des Tuileries.

Grand cabinet présenté par Fourdinois à l'Exposition universelle de Londres en 1851
Grand cabinet présenté par Fourdinois à l’Exposition universelle de Londres en 1851
Great exhibition of the works of industry of all Nations, 1851, Official descriptive and illustrated catalogue. London : Spicer Brothers, 1851, p. 333 
© MAD, Paris

L’association Fourdinois et Fossey prend fin en 1848, chacun débutant désormais une carrière individuelle. À l’Exposition des produits de l’industrie de 1849, alors que Fossey obtient une médaille d’or dans la section “Ébénisterie d’art”, Fourdinois obtient un « rappel » de médaille d’argent dans la section “Meubles d’utilité et à système, objets d’ameublement”3. La participation d’Alexandre-Georges Fourdinois aux expositions universelles marque un tournant décisif pour la maison. Lieu privilégié d’émulation artistique, autant qu’outil de stratégie commerciale, les expositions universelles permettent d’accroître la visibilité par la reconnaissance de la critique qui engendre d’importantes commandes. À la première Exposition universelle, organisée à Londres en 1851, il présente un buffet monumental de style Renaissance4, qui donne une part considérable à la sculpture en ronde-bosse, et remporte the Council Medal (la grande médaille).

En plus de ses succès aux expositions universelles, Alexandre-Georges s’est vu confier, entre 1850 et 1852, l’exécution du mobilier de certaines salles du musée du Louvre d’après les dessins de Félix Duban alors architecte du Louvre. Il reçoit également 15 100 Francs pour l’ameublement des appartements de la reine à Saint-Cloud, aménagement fait à l’occasion du voyage officiel de la reine Victoria en France en 1855. L’ensemble comprend une psyché5, un lit à baldaquin et le mobilier destiné au prince Albert.

Jean-Baptiste Fortuné de Fournier (1798-1864), {Le Cabinet de toilette de l'Impératrice Eugénie à Saint-Cloud}
Jean-Baptiste Fortuné de Fournier (1798-1864), Le Cabinet de toilette de l’Impératrice Eugénie à Saint-Cloud
Aquarelle. Château de Compiègne, IMP.442/4
© RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / Daniel Arnaudet

La passation de relais entre le père et le fils est peu lisible. Il est généralement admis que le fils rejoint la maison Fourdinois en 1860 à son retour d’Angleterre, puisqu’ils participent ensemble à l’Exposition de 1862, le père présente sa cheminée et Henri-Auguste un cabinet à deux corps en ébène.

1«  Célébrités de l’ameublement l’ameublement : Alexandre Fourdinois  », dans Moniteur de l’Ameublement, juillet 1866, p. 78.

2Exposition des produits de l’industrie française en 1844, rapport du jury central. Paris, Imprimerie de Fain et Thunot, 1844, T. III, p. 86.

3«  le jury a compris dans cette seconde catégorie les objets d’ameublement, la marqueterie et les meubles de fantaisie qui ne sauraient être classés parmi les objets d’ébénisterie proprement dits et qui appartiennent tout à la fois à l’industrie du tabletier, à celle du tapissier et du décorateur  ». Dans Rapport du jury central sur les produits de l’agriculture et de l’industrie exposés en 1849, Paris, 1850, T. III, p. 414

4Aujourd’hui au Victoria & Albert Museum de Londres, inv. 2692-1856.

5La psyché est désormais conservée à Compiègne. Une aquarelle de Fortuné de Fournier également conservée à Compiègne représente le cabinet de toilette de l’Impératrice à Saint-Cloud.

Henri-Auguste Fourdinois (1830-1907)

Âgé d’à peine 16 ans, Fourdinois entre dans l’atelier de l’architecte Duban où il se forme de 1846 et 1848, - à cette période les deux chantiers principaux de l’architecte sont la Sainte-Chapelle et le château de Blois. A la chute de la monarchie de Juillet, la période politique est complexe et le jeune Henri-Auguste, comme de nombreux artistes français, part pour Londres1. Il travaille alors dans l’atelier de l’orfèvre français Jean-Valentin Morel. L’activité chez Morel & Co doit être intense en vue de l’Exposition universelle de 1851 à Londres, à laquelle la firme triomphe et reçoit une médaille de première classe pour une statue équestre d’Elizabeth I en argent repoussé ornée d’un grand nombre de pierres précieuses. Il obtient la même année le titre honorifique d’orfèvre-joaillier de Sa Majesté la Reine Victoria. Les échanges entre les maisons Morel et Fourdinois se font par le transfert d’artistes comme Charles Niviller, collaborateur de Morel, qui de retour en France, devient chef des ateliers de dessin et de gravure de la maison Fourdinois ou Constant Sévin, qui passe de chez Morel à l’atelier de Fourdinois.

À son retour de Londres, Henri-Auguste fait un passage - peu renseigné - chez le bronzier Victor Paillard, peut-être y reste-t-il jusqu’en 1857 ou 1860, date à laquelle on admet traditionnellement son arrivée au sein de la maison paternelle2. En 1864, il dépose un brevet pour un nouveau procédé de marqueterie en plein - même si la paternité lui en est contestée - il ne s’agit plus de coller de très fines lamelles de différentes essences de bois, mais d’imbriquer dans l’épaisseur des morceaux de bois ou d’autres matières telles que le bronze, l’ivoire ou les pierres dures. Cela permet un intéressant jeu de polychromie mais également un travail de la sculpture, rendant l’ensemble plus résistant.

Stand Fourdinois à l'exposition des arts du bois organisée par l'Union centrale des Arts décoratifs de 1882
Stand Fourdinois à l’exposition des arts du bois organisée par l’Union centrale des Arts décoratifs de 1882
Bibliothèque du MAD, album Maciet 309/03bis
© MAD, Paris

Henri-Auguste Fourdinois succède à son père en 1867, ajoutant la tapisserie à la menuiserie et à l’ébénisterie. La force de la maison est de réunir “tous les ateliers concourant séparément à l’ensemble de l’Ameublement3 (comprenant la menuiserie, l’ébénisterie, la sculpture, les bronzes d’ornement, le textile, la passementerie). Il pense la décoration dans sa globalité, notamment par l’intégration du mobilier dans l’aménagement intérieur. Alphonse Cerfberr de Medelsheim, qui publie en 1868 Meubles et Tapisseries. M. Henri Fourdinois. Grand prix 1867, recense cent ouvriers employés dans les ateliers de la rue Amelot. Fourdinois a mis en place un système de prévoyance à l’égard de ses ouvriers, des mesures visant à protéger son personnel mais également à se prémunir d’éventuelles grèves syndicales.

Sous le Second Empire, la maison Fourdinois honore d’importantes commandes pour le Mobilier de la Couronne : aménagement des appartements du pape, et de ceux de l’impératrice Eugénie et de son musée chinois au château de Fontainebleau. Le ministère de la Marine lui commande l’aménagement du yacht impérial “l’Aigle”.

L’Exposition universelle de Paris de 1878 est également un moment important pour la maison Fourdinois malgré quelques critiques sur “la plus que parfaite incommodité des meubles et sièges exposés dans son compartiment”4. Elle y expose un coffret à bijoux, une chaise longue et les deux portes du Musée des Arts Décoratifs. Nombre de ses collaborateurs sont également récompensés à l’Exposition de 1878. “Dans cent ans, on reconnaîtra un meuble de Fourdinois comme on reconnaît aujourd’hui un Riesener ou un Boule (sic)"5. Fourdinois cesse son activité en 1887, on peut trouver une explication des difficultés économiques dans ses écrits “Il y a d’abord la production d’un luxe intermédiaire qui n’existait pas jadis, d’une sorte de demi-luxe à la portée des classes moyennes. Puis la tendance de notre aristocratie financière à préférer aux œuvres de bon goût et d’exécution soignée, dont le prix en définitive n’est qu’en proportion de leur valeur, les œuvres bon marché et communes qui, à leurs yeux, semblent valoir à peu près les premières. Il faut ajouter la bizarre maladie des riches amateurs contemporains qui, tout en faisant profession d’encourager la production artistique, n’hésitent pas à payer des sommes inouïes un objet ancien d’un goût parfois douteux, souvent même une imitation, alors même qu’ils ignorent ou dédaignent les chefs-d’œuvre de l’industrie moderne »6.

1On peut imaginer que les commandes se faisant plus rares pour Fourdinois père durant cette crise politique et économique, Henri-Auguste décide de partir compléter sa formation en Angleterre. Quelques années plus tard, Henri-Auguste publie des ouvrages qui nous permettent d’appréhender sa vision économique de l’industrie ainsi que son ancrage dans la société. Pour lui, la révolution de 1848 qui engendre un nombre important d’artistes en exil, est “une grande date pour son influence sur les progrès de l’industrie.”

2Une remarque évoque ce bref passage avec une traditionnelle dépréciation pour les arts appliqués dans l’étude sur l’exposition de 1862 “Début d’un jeune homme qui aurait pu aspirer à la grande sculpture” Études sur l’exposition universelle de Londres en 1862 : renseignements techniques sur les procédés nouveaux manifestés par cette exposition. Paris, 1863, p. 854

3Luc Léo. L’Industrie au XIXe siècle. Les microscopes Chevalier. Ameublement H. Fourdinois. Orfèverie, fabrication du métal blanc... Papiers peints à la planche. Paris, 1878, p. 22.

4L’Univers illustré : journal hebdomadaire, 5 octobre 1878.

5Sous la direction de M. Émile Bergera Les chefs-d’œuvre d’art à l’Exposition universelle 1878. Paris, 1878, t.1 p. 79.

6Revue des arts décoratifs, 1884, t. 5, p. 538.

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