L’Union centrale des Arts décoratifs et la « modernité » : l’exposition de 1925 et l’Union des artistes modernes

Les expositions de la première moitié du XXe siècle témoignent d’une évolution considérable dans les pratiques des décorateurs, toujours en quête du beau dans l’utile. Le substantif « moderne », omniprésent dans le vocabulaire, manifeste la volonté de rupture tout autant que le désir d’adaptation aux nouvelles conditions sociales et économiques.

L’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925

Cette quête de la « modernité », en jalons et ruptures, voit certes se croiser ou s’affronter les mouvements – la Société des artistes décorateurs et l’Union des artistes modernes (UAM) –, et les matériaux – le bois, la pierre et le métal, le verre, le ciment –, mais des missions communes subsistent : la volonté de créer des ensembles décoratifs complets pour le quotidien des commanditaires et la recherche d’une « synthèse des arts », alliant beaux-arts et arts décoratifs. L’Union centrale des arts décoratifs occupe lors de ces événements une place plus discrète que lors des expositions précédentes car elle n’érige plus de pavillon comme cela a été le cas en 1900. Néanmoins, son personnel y demeure engagé : François Carnot, président de l’UCAD entre 1910 et 19591, est nommé président du Comité général de l’exposition de 1925 et président du jury supérieur de l’exposition de 1937. Les conservateurs du musée Louis Metman et Jacques Guérin tiennent également un rôle non négligeable2. Leur action s’accompagne d’une politique d’acquisitions des œuvres exposées.

L’exposition de 1925 – longtemps attendue puisque déjà envisagée avant la Première Guerre mondiale, dans un souci de rupture avec l’Art nouveau – consacre le style Art déco, ses lignes épurées, son utilisation de la géométrie et de la symétrie, et son emploi de matières luxueuses et raffinées. Le mot d’ordre de l’exposition prône le retour à la tradition décorative française et le rejet du pastiche3. Le pavillon baptisé « Une ambassade française » réalisé par la Société des artistes décorateurs, qui tient son Salon au Musée des Arts Décoratifs depuis 19064, en est l’illustration parfaite. Composé d’un hall conçu par Robert Mallet-Stevens, d’un bureau-bibliothèque par Pierre Chareau, d’une salle à manger par Georges Chevalier, d’un fumoir par Francis Jourdain, d’un petit salon par Maurice Dufrêne et d’une chambre par André Groult, ce pavillon est représenté dans les collections du musée par le bureau de Chareau, la console de Raymond Subes pour le petit salon et le Chiffonnier anthropomorphe de Groult pour la chambre de l’ambassadrice.

Le musée conserve également le souvenir d’un autre édifice de l’exposition resté fameux, l’Hôtel du Collectionneur, conçu par Jacques-Émile Ruhlmann, grâce au bureau à doucine de ce dernier et à La Jeune Fille à la cruche de Joseph Bernard, donnée au musée par Metman dès 1923, et dont un autre exemplaire figure en 1925 au sein de l’Hôtel. Ces deux ensembles témoignent de l’importance de l’exposition de 1925 pour l’Union centrale qui a depuis entretenu sa mémoire par diverses acquisitions, comme le don de Jean Dubrujeaud qui permet en 1958 de faire entrer au musée une partie du mobilier du couturier et collectionneur Jacques Doucet, un des grands mécènes de l’Art déco. L’Exposition internationale de 1925 ne constitue pas qu’une consécration de l’Art déco : elle est aussi un tournant pour certains artistes qui, bien que présents, cherchent à s’émanciper de la Société des artistes décorateurs. Ils fondent peu après l’Union des artistes modernes.

1Il est également collectionneur, administrateur et homme politique

2Metman, conservateur en chef du musée entre 1898 et 1941, est présent dans la commission consultative en 1925 (Bibliothèque du MAD, archives, D2 / 96), avant d’être membre du comité d’organisation en 1937 et président du groupe VIII (vitrail) (Bibliothèque du MAD, archives, D2 / 117 et 119)  ; Guérin, conservateur en chef succédant à Metman et actif jusqu’en 1962, est rapporteur du jury du groupe IX, classe 55 (parure) en 1937 (Bibliothèque du MAD, archives, D2 / 116).

3Emmanuel Bréon et Philippe Rivoirard (dir.), 1925, quand l’Art déco séduit le monde, Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine, Éditions Norma, 2013, p. 11.

4Le Salon des artistes décorateurs se déroule au pavillon de Marsan entre 1906 et 1922.

L’Union des artistes modernes (UAM)

En 1928, Charlotte Perriand, René Herbst et Djo-Bourgeois présentent au Salon des artistes décorateurs un appartement modèle dédié à la création industrielle. Le succès de cette installation effraie davantage la Société des artistes décorateurs qu’elle ne l’encourage à réitérer l’opération. Face au refus de la renouveler, ils font sécession et créent en mai 1929 l’UAM, avec Jean Burkhalter, Pierre Chareau, Sonia Delaunay, Jean Fouquet, Eileen Gray, Hélène Henry, Francis Jourdain, Robert Mallet-Stevens, Gustave Miklos, Jean-Charles Moreux, Jean Prouvé, Jean Puiforcat, Gérard Sandoz ou encore Raymond Templier1. L’exposition inaugurale est accueillie au Musée des Arts Décoratifs, du 11 juin au 14 juillet 1930. La vocation de cette association est avant tout sociale puisqu’il s’agit de « montrer qu’il existe des objets usuels courants, produits de l’artisanat ou de l’industrie, d’un prix abordable, de qualité et de formes telles qu’ils puissent contribuer à l’harmonie de notre vie, condition de santé et de joie2 ».

Bien accueilli, le groupe ne tarde pas néanmoins à se faire des inimitiés : la critique et les industriels lui reprochent vite le manque de renouvellement des créations, l’aridité des formes, l’aspect utopique de la démarche, qui demeure élitiste – les pièces produites en petite série ne rencontrent pas le succès escompté auprès du grand public – et l’absence de programme. Le manifeste Pour l’art moderne, cadre de la vie contemporaine, publié en 1934, est autant une tentative de réponse à ces attaques qu’un répertoire de sources littéraires, philosophiques et historiques du groupe3. Saint Augustin, René Descartes, Hippolyte Taine, Jean Cocteau y sont cités, de même que le sociologue Jean-Marie Guyau qui affirmait en 1889 que « l’art n’a jamais été le simple, mais le complexe simplifié4 ». Les œuvres de l’UAM conservées au Musée des Arts Décoratifs, tels le fauteuil de Burkhalter, la coiffeuse de Gray ou le divan de Chareau sont autant d’échos à ces références intellectuelles.

Le pavillon érigé par l’UAM à l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne de 1937 met en exergue la jeunesse, la technique et les loisirs, le groupe cherchant toujours à être en lien avec son environnement social et politique. L’Union centrale, pour sa part, réalise peu d’acquisitions à l’issue de cette exposition. Celles qu’elle conserve aujourd’hui sont entrées plus tardivement, comme le meuble d’appui à usages multiples de René Herbst, la table de libraire de René Hermant, la table guéridon de René Coulon ou la commode d’André Arbus. Après la Seconde Guerre mondiale, l’UAM ne parvient pas à retrouver son souffle, si ce n’est par l’intermédiaire des expositions « Formes utiles », mises en place grâce à l’action de Francis Jourdain et André Hermant. La première exposition a lieu, là encore, au Musée des Arts Décoratifs en 1949-1950, mais les suivantes sont intégrées au Salon des arts ménagers dès 1951. Y sont présentés des objets utiles et quotidiens dans une perspective commerciale, les critères étant l’adéquation de la forme et de la fonction, ainsi que le rapport qualité-prix. La démarche de l’UAM, à travers son histoire, annonce ainsi le Centre de création industrielle, créé en 1969 par l’Union centrale.

1Pour une histoire de l’UAM, voir Arlette Barré-Despond, Union des artistes modernes, Paris, Éditions du Regard, 1986 et Yvonne Brunhammer (dir.), Les Années UAM, 1929-1958, Paris, Union centrale des arts décoratifs, 1988.

2Brunhammer (dir.), 1988, p. 103.

3Manifeste Pour l’art moderne, cadre de la vie contemporaine, rédigé avec la collaboration littéraire de Louis Chéronnet, Paris, Union des artistes modernes, 1934, n. p.

4Le début de la citation, tout comme l’orthographe du nom de l’auteur sont inexacts dans le manifeste : «  Le beau n’a jamais été absolument le simple, mais le complexe simplifié  ; il a toujours consisté en quelque formule lumineuse enveloppant sous des termes familiers et profonds des idées ou des images très variées. C’est donc tout à fait par erreur que l’idéalisme des mauvais écrivains classiques a fait consister le beau dans le petit nombre et la pauvreté des idées ou des images, dans la rigidité des lignes, dans la symétrie exagérée, dans l’altération de toutes les courbes et sinuosités de la nature  », L’Art au point de vue sociologique, Paris, Félix Alcan, 1889, p. 77.

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