1 Le mouvement international de revendication pour la reconnaissance des droits des femmes émerge à partir des années 1840. Pourtant, deux décennies plus tard, peu d’artistes féminines participent à la création de l’Union centrale2, en dépit du fait que l’association entend défendre l’enseignement pour tous, et que des femmes participent à la production des ateliers et des manufactures et exposent au Salon. Le parcours d’Éléonore Escallier, peintre de nature morte, collaboratrice de la manufacture de Sèvres et du céramiste Théodore Deck, est révélateur des premiers pas vers l’émancipation. Enseignante dans une école parisienne de dessin pour jeunes filles, l’artiste soumet au ministère de l’Instruction publique en 1870 un mémoire proposant de limiter le nombre d’élèves dans ces écoles car elles sont surpeuplée (à cause de leur interdiction à l’École des beaux-arts jusqu’en 1897), ce qui nuit à l’efficacité des enseignements et à la carrière future des élèves3. Les artistes doivent souvent se cantonner à certains genres picturaux et supports décoratifs, les carrières d’une Félicie de Fauveau ou d’une Rosa Bonheur n’étant pas légion4. En 1892, une « Exposition des arts de la femme », organisée par l’Union centrale au sein du palais de l’Industrie, marque une première étape : elle présente dans la section beaux-arts les œuvres de Louise Abbéma, Marie Bashkirtseff ou Charlotte Besnard. Les autres sections sont consacrées à l’enseignement et aux industries artistiques. Une rétrospective présente l’histoire du costume féminin et les objets à l’usage de la femme, tandis que sept dioramas intitulés « La Parisienne du siècle », commandés au peintre Théophile Poilpot, occupent la grande nef de l’édifice.
L’Union centrale, qui a d’ores et déjà saisi le rôle essentiel de la femme dans la création et le patrimoine, accompagne les revendications émanant des artistes, des dessinatrices et des décoratrices. En 1895, elle instaure le Comité des dames afin de s’aligner sur les avancées anglo-saxonnes, mais aussi pour encadrer le travail féminin, encore perçu comme potentiellement perturbateur pour l’ordre social et familial. Parmi ses missions, figurent la création d’une école de jeunes filles et l’organisation de concours et d’expositions5. Formées au dessin et aux travaux d’art (reliure, encadrement, gainerie, dorure, broderie d’art, dentelle), les élèves sont issues de milieux sociaux favorisés, mais aussi populaires, grâce à l’allocation de bourses. Plusieurs des élèves sont ensuite devenus célèbres, telles Rose Adler, Charlotte Perriand ou Dora Maar. Les concours sont nombreux – une quarantaine entre 1895 et 1921 – et font appel à des matériaux et des techniques variés – textile, cuir, papier peint, bijoux ou éventail. Le Comité des dames s’illustre souvent par l’organisation d’expositions et la participation à de grands événements comme l’Exposition universelle de 1900, au cours de laquelle il présente au sein du pavillon de l’Union centrale un salon de style néo-Louis XVI et une chambre d’enfant de style Art nouveau avec, entre autres, une banquette de mademoiselle J. Pataud, un buste d’enfant de Lucie Signoret-Ledieu et un paravent de Henriette Delillier.
L’Union centrale entretient cet intérêt pour la création féminine. Dès 1882, certaines sculptures d’après les dessins de la comtesse Léon de Biencourt sont exposées au Musée des Arts Décoratifs. En 1907, c’est au tour de Maria Tenicheva, dite Marie Tenicheff, et plus particulièrement ses collections, d’être présentées par l’institution. La princesse, qui a fui la révolution russe en 1905 et s’est installée à Paris, est une collectionneuse d’art russe populaire et un mécène qui a créé des ateliers d’émaillage dans son pays natal. Elle donne une salière et un plat à pain en argent émaillé, répliques de pièces réalisées pour le tsar Nicolas II. Le Musée des Arts Décoratifs encourage également la création féminine par l’intermédiaire d’acquisitions. Contemporaine du Comité des dames, Eugénie Jubin dite O’Kin, tabletière et artiste décoratrice d’origine japonaise qui a commencé à exposer en France en 1907, est remarquée au Salon des artistes décorateurs de 1910 et le musée lui achète un vase et une coupe. Plus récemment, d’importantes donations permettent à Sonia Delaunay d’entrer dans les collections – l’artiste donne vingt-trois projets de tissus simultanés en 1966, puis du mobilier dont elle a dessiné les textiles, en 1979 –, tout comme Niki de Saint Phalle, qui fait bénéficier l’Union centrale en 2000 d’une importante donation de sculptures et d’objets décoratifs ou utilitaires. Le musée conserve aussi les témoignages des collaborations de certaines artistes dans le champ des arts décoratifs, comme des maquettes de théâtre, des projets de tissus de Suzanne Lalique-Haviland ou le papier peint Lendemain de fête réalisé par Leonor Fini pour la Société française de papiers peints vers 1948. Andrée Putman, designer et décoratrice d’intérieur, se distingue par le service de bord du Concorde conçu en 1993 pour Air France, et clôt ce bref aperçu d’une empreinte féminine si prégnante dans l’institution.