Jules Chéret (1836-1932) s’est imposé comme une figure majeure pour le musée de la Publicité puisqu’il est considéré comme l’inventeur de l’affiche en couleurs et de l’affiche illustrée publicitaire en France : « Apporteur de neuf. Il a conquis à l’art une province nouvelle. Il créa l’affiche artistique. » Il tient également sa place au MAD par sa contribution à la décoration intérieure, des peintures murales aux tapisseries et aux objets d’art de la Belle Époque. Les collections comportent, depuis l’époque des premiers donateurs de l’Union centrale des arts décoratifs, tels Roger Braun ou Georges Pochet, tous deux associés au courant de l’affichomanie, un ensemble exceptionnel des affiches de l’artiste qui inclut des maquettes, des essais de couleurs et des exemplaires avant la lettre. (…)
La rue
C’est en 1889 que deux manifestations d’importance très différentes marquent un tournant décisif dans la carrière de Chéret. L’une est l’exposition d’affiches organisée par Ernest Maindron au Champ-de-Mars dans le cadre de l’Exposition universelle de 1889, qui marque officiellement la reconnaissance de l’affiche. Chéret, également sollicité pour les campagnes d’affichage menées à l’occasion de l’Exposition universelle, y est sacré le « roi de l’affiche », selon le titre d’un article. L’apport de Chéret au nouvel art lui vaut une médaille d’or et le ruban de la Légion d’honneur, réclamé par une pétition aux illustres signataires, en tant que « créateur d’une industrie d’art depuis 1866 par l’application de l’art à l’impression commerciale et industrielle ».
L’autre se tient en marge des manifestations officielles. Il s’agit de l’exposition de ses œuvres organisée par Charles Bodinier, secrétaire de la Comédie-Française, dans le hall de son Théâtre d’Application en décembre 1889. Chéret s’y trouve présenté, non plus seulement comme affichiste, mais aussi comme peintre et pastelliste : on le découvre en tant qu’« artiste ». C’est la première exposition personnelle de Chéret.
En 1903, Camille Mauclair a souligné rétrospectivement la portée de cette exposition sur l’évolution de l’œuvre de Chéret, alors devenu peintre décorateur. « L’étonnement général a été de voir l’affichiste prestigieux se révéler soudain un pastelliste de premier ordre ; un second étonnement fut l’éclosion d’un tempérament de grand décorateur en cet homme qui jusqu’alors se bornait au petit cadre ou à la feuille de papier. » (…)
Les « Chérolâtres » et le courant de l’Affichomanie
D’un côté, la crise institutionnelle du champ artistique a donc conduit à la transformation du statut de l’affiche qui se rapproche des valeurs partagées par la nouvelle peinture. De l’autre, le courant de l’affichomanie va permettre aux affiches d’intégrer la sphère du collectionnable, tandis qu’elles constituent une fraction spéciale du marché de l’estampe pour amateurs. C’est ce qu’indique Henri Béraldi en 1886, dans l’importante étude qu’il consacre à Chéret, où sont cataloguées 950 œuvres graphiques de l’artiste, après avoir rappelé que du temps de Balzac les collectionneurs d’affiches paraissaient « pyramidaux, invraisemblables et comiques » : « Aujourd’hui, c’est l’affiche qui donne des joies à l’amateur d’estampes. » Pour décrire cet engouement pour l’affiche illustrée qui culmine autour du nom de Chéret et ne cesse de s’amplifier jusqu’à la fin du XIXe siècle, Octave Uzanne, l’inventeur de la notion d’affichomanie, forge aussi en 1891 le terme de « Chérolâtres ». Un tel résultat est rendu possible par la mise en place d’un système marchand-critique, au fonctionnement analogue à celui qui s’est instauré pour la valorisation de la peinture depuis l’époque de Barbizon et qui se renforce autour de l’impressionnisme, tout en passant par des circuits et des canaux différents.