Cette cuisine provient d’un appartement de l’Unité d’Habitation de Marseille construite à Marseille entre 1947 et 1952 par Le Corbusier. En 1946, Charlotte Perriand fut invitée à collaborer à l’équipement de la cellule type de l’Unité d’Habitation projetée à Marseille. En 1947, elle en élabore la maquette dans laquelle la cuisine était reliée à la salle à manger par un passe-plat intégré dans un placard suspendu. Elle optera ensuite pour une cuisine-bar ouverte dans laquelle la maîtresse de maison a un contact direct avec ses invités. Cette cuisine sera élaborée avec la firme CEPAC (Construction d’éléments pour l’amélioration du confort). Une controverse entre Charlotte Perriand et Le Corbusier verra le jour à propos de la paternité de cette cuisine, Le Corbusier ayant ensuite fait réaliser avec la femme d’André Wogenscky une autre cuisine plus simple. Cette nouvelle cuisine reprend plusieurs idées de Charlotte Perriand : casiers à portes coulissantes, poignées raidisseurs…. Finalement, la cuisine présentée au Salon des Arts Ménagers de 1950 puis réalisée à Marseille sera celle de l’Atelier Le Corbusier directement inspirée par la cuisine-bar de Charlotte Perriand.
Cette cuisine aux dimensions minimales (4,8 m2) se compose de quatre côtés où tout est accessible facilement. Sur trois côtés, un plan de travail en aluminium moulé avec des ponctuations de grès cérame relie le tout sous la forme d’un « U ». Conçue pour être réalisée en série, elle se compose de plusieurs blocs livrés prêts à être posés. Le réfrigérateur et la machine à laver, encore réservés, à l’époque, à une clientèle aisée, ne sont pas intégrés dans cette cuisine. Par contre, une cuisinière Sauter ainsi qu’une glacière sont insérées sous le plan de travail ainsi qu’un évier avec son broyeur de déchets.
Ce principe de cuisine-bar puise ses sources dans le projet de la cuisine Travail et sport de Charlotte Perriand créée en 1927 et fait la synthèse des différentes cuisines ouvertes que la créatrice a conçues auparavant : maison Loucheur en 1928, maison au bord de l’eau en 1934, chalets de 1936 et 1937… La vision de Charlotte Perriand sur la femme au centre du foyer et non pas reléguée dans un coin à ses tâches ménagères, est à l’œuvre dans cette cuisine où tout est étudié au plus juste. Pensée dans ses moindres détails (plan incliné pour mettre les casseroles, meuble suffisamment haut entre cuisine et salle à manger pour cacher le désordre de la cuisine), cette cuisine est emblématique des recherches de la créatrice sur l’équipement de la maison. Elle est, de plus, étroitement liée à l’histoire d’un des bâtiments les plus célèbres du XXe siècle.
Cette cuisine, vendue à un prix extrêmement modique, est pour le Musée des Arts Décoratifs un jalon tout à fait primordial non seulement de l’histoire du mobilier mais aussi de la réflexion sur le rôle de la femme dans la maison. Elle est ainsi au cœur des problématiques traitées par le musée.
Dominique Forest