La longévité de la carrière de Lemme,l qui couvre deux grands pans de l’histoire de la publicité, est étonnante : il est à la fois contemporain des créations Cappiello et de Cassandre à ses débuts avant la Seconde guerre mondiale et des campagnes décoiffantes de Jacques Séguela.
Ses dons pour la caricature seront précieux dans sa carrière de publicitaire. Dans ces deux disciplines, il faut savoir capter et restituer l’essentiel à un public qui n’accorde qu’un regard à ces images.
Cette pratique de l’art du raccourci, il la met au service d’une publicité humoristique, voire burlesque.
A ses débuts, sa carrière semble suivre le schéma classique : il travaille avec un agent qui démarche les annonceurs et lui apporte les contrats. Les études qu’il réalise en vue d’une collaboration avec les horlogers (Alpina) le prouvent. Elles permettaient à l’agent de démarcher de nouveaux clients.
Le réalisme et plus tard l’hyperréalisme de ses travaux d’après-guerre lui confèrent une place un peu à part parmi les affichistes.
Pendant la guerre, puis dans le cadre de l’aide américaine liée au plan Marshall arrivent en France de nouveaux produits, de nouvelles techniques et ce qu’on oublie souvent, des images, en particulier à travers la publicité.
Au début des années cinquante la France va subir très fortement l’influence de la publicité américaine, tant dans le style que dans les méthodes. C’est la période où les « artistes » sont opposés aux « techniciens » de la publicité.
La question de l’efficacité des images produites est au centre des polémiques. On peut suivre dans la revue Vendre les différents argumentaires des tenants de chaque camp.
Le graphisme « à la française » se défend bien avec des maîtres comme Savignac, Villemot, Nathan, Georget, Morvan, Gruau et quelques autres.
Charles Lemmel à l’opposé va adopter ce qu’il appelle très justement « le style américain ». Il parait très influencé à la fois par l’iconographie et par le style des publicités américaines, vraisemblablement des cigarettes, je pense à la marque Camel en particulier. Il met en scène un type de femme, la pin-up : star anonyme inspirée du cinéma américain dans des scènes dans diverses situations de la vie sociale, mondaine ou familiale.
Ses jeunes femmes sont gaies, saines, toniques, jamais sophistiquées. Elles sont accessibles mais réservées, attrayantes mais ni coquines ni séductrices comme celles de Brenot ou d’Okley, elles sont à la mode mais sans excès, bref elles jouent parfaitement leur rôle de vecteur du désir mais sans rien promettre de plus.
Ce style, très lié à une mode, ne pouvait que passer comme toutes les modes. Charles Lemmel choisit alors d’une certaine façon de perfectionner la technique, la maîtrise acquise dans le travail des modelés, des ombres, des brillances utilisé pour représenter ses pin-up en se spécialisant dans la reproduction hyperréaliste, quasiment « photographique » des objets.
Parallèlement, dans la publicité, la photographie remplace peu à peu le dessin.
La carrière de Lemmel suit l’évolution de la publicité : de l’affichiste, artiste seul maître de sa création de l’idée et de sa réalisation, il devient « un maillon » de la chaîne créative. Son travail s’inscrit et participe à une période charnière particulièrement riche de l’histoire de la publicité.