Georges Lepape — Les choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape, Paris, Paul Poiret, 1911
Exemplaire n° 176/300. Phototypie coloriée au pochoir
© Les Arts Décoratifs
Né à Paris en 1879, Paul Poiret débute sa carrière comme apprenti dans plusieurs
maisons de couture. Il se forme aux côtés de Jacques Doucet dès 1898, puis rejoint en 1901 la maison Worth, alors dirigée par les deux fils du fondateur de la haute couture. Dans ces maisons, Poiret observe et assimile les rudiments du métier de couturier : le contact avec les clientes et le travail en équipe.
Ces expériences lui confèrent l’impulsion nécessaire pour établir sa propre maison de couture en 1903.
Paul Poiret — Robe du soir Joséphine, 1907
© Les Arts Décoratifs / Jean Tholance
Il y définit une nouvelle esthétique du corps féminin, en mouvement et sans carcan, rompant avec la silhouette en S du début du siècle. Sa ligne, simplifiée, est d’une grande modernité. En témoigne la robe du soir Joséphine, chef-d’œuvre de la collection « manifeste » de 1907, d’inspiration Directoire. La taille est remontée sous la poitrine et maintenue à l’intérieur de la robe par un ruban en gros-grain légèrement baleiné. Poiret
utilise des tissus légers et emploie des couleurs vives et acides. Sa palette chromatique fait écho à celle du fauvisme, mouvement pictural du début du XXe siècle qu’il apprécie particulièrement.
Paul Poiret — Manteau du soir Paris, vers 1910
Gros de Tours liseré à décor broché de fils doré or et de lames argent, taffetas changeant, passementerie et métal argenté
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière
Il a une clientèle aisée et cultivée, avide de nouveautés et s’entoure d’artistes novateurs avec lesquels il collabore et qu’il collectionne (Paul Iribe, Raoul Dufy, Maurice de Vlaminck ou encore Georges Lepape). Après la Première Guerre mondiale, pendant laquelle il est mobilisé, Poiret retrouve l’inspiration grâce à ses voyages et aux fêtes qu’il organise.
Les années 1920 sont marquées par de nombreuses dépenses liées à son train de vie excessif et au développement de ses sociétés (la maison de couture, la maison Martine et les Parfums de Rosine). Il est forcé de vendre sa maison de couture en novembre 1924 et de la quitter définitivement en décembre 1929. En 1925, il participe à l’Exposition Internationale des Arts décoratifs et industriels modernes sur ses fonds propres : il affrète trois péniches sur le bord de la Seine où il présente l’ensemble de son univers (couture, décoration intérieure, parfums). Cet évènement est un gouffre financier.
George Barbier — Couverture du magazine Les Modes, Avril 1912 Paris, Manzi, Joyant et Cie, 1912
Héliogravure
© Les Arts Décoratifs
Chronologique et thématique, l’exposition plonge le visiteur dans le Paris moderne du premier quart du XXe
siècle. Elle met en lumière les débuts du parcours de Paul Poiret, retraçant les bases de son apprentissage chez
Doucet et Worth. Elle dévoile peu à peu ses relations et insiste sur ses innovations. L’on découvre au fil de la
déambulation les multiples facettes du créateur dont la pratique s’apparente plus à celle d’un chef d’orchestre que d’un simple couturier. Le parcours est ponctué d’œuvres d’artistes ayant accompagné Poiret tout au long
de sa carrière. Parmi eux, le décorateur et architecte Louis Süe qui a aménagé sa maison de couture avenue d’Antin. Poiret est un dénicheur de jeunes talents qu’il soutient et avec lesquels il noue parfois de longues amitiés, comme Raoul Dufy. De leur relation naissent des créations uniques telles que le manteau La Perse
(1911), dont la coupe est conçue par Poiret et les motifs imprimés par Dufy.
Au-delà des artistes, il côtoie des membres de la société fortunée et cosmopolite, clients des grandes maisons de couture. C’est le cas de la collectionneuse d’avant-garde et galeriste américaine Peggy Guggenheim.
Paul Poiret — Robe du soir Mosaïque Paris, vers 1908
Mousseline de soie verte brodée de fils de soie et de perles, galon doré et fourrure de vison
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière
Dès 1909, la compagnie des Ballets Russes de Serge de Diaghilev se produit à Paris. Poiret assiste à ses spectacles, caractérisés par la fusion entre les arts (musique, danse, décors et costumes).
Il est frappé par leur modernité qu’il va transcrire dans sa pratique. Des photographies de la danseuse
Tamara Karsavina pour Shéhérazade sont exposées aux côtés d’un dessin de Léon Bakst, décorateur du ballet. Poiret habille à la scène des danseuses telles que Isadora Duncan et Nyota Inyoka.
Ses différents voyages en Europe et au Maghreb le marquent profondément. Il retranscrit certaines de ces impressions dans ses mémoires, En habillant l’époque (1930), allant jusqu’à mentionner ses expériences culinaires et olfactives. Il réemploie les tissus et broderies qu’il rapporte de voyage dans ses créations de mode. Il nomme parfois ses tenues de lieux qu’il a visités : Marrakech, Tolède...
Paul Poiret — Robe du soir Paris, 1910
Satin de soie, mousseline de soie brodé de tubes de verre et velours de soie
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière
L’exposition rend compte des fêtes spectaculaires organisées par le couturier à travers plusieurs costumes. Sont
évoquées Les Festes de Bacchus et la fameuse fête de La Mille et deuxième Nuit. Poiret y invite ses amis artistes (Kees van Dongen ou encore Dunoyer de Segonzac) avec le tout-Paris mondain. Ces soirées sont des moments de sociabilité dont la presse de l’époque se fait l’écho. Ils constituent aussi des évènements publicitaires pour sa maison de couture.
L’intimité de Poiret est dévoilée à travers des photographies et portraits de famille. On y voit Denise Poiret,
les enfants du couple, mais aussi la sœur du couturier, Nicole Groult. Cet espace met en lumière des moments
précieux de sa vie personnelle.
L’exposition présente également les multiples talents de Poiret : en plus d’être couturier, il est peintre, comédien,
écrivain, gastronome et musicien. Tel un chef d’orchestre, Poiret aspire à la création d’une œuvre d’art totale.
Sa propension à fédérer les disciplines se retrouve dans les deux sociétés qu’il fonde en 1911 : Martine, dédiée
à la décoration d’intérieur et divisée entre une école et un atelier, et Les Parfums de Rosine.
En effet, pour la naissance d’un parfum, il fait participer plusieurs talents. Par exemple, pour Arlequinade
(1923), le flacon est dessiné par l’artiste Marie Vassilieff et fabriqué par le sculpteur-verrier Julien Viard,
et le jus est élaboré par le parfumeur Henri Alméras.
Schiaparelli — Robe du soir Paris, collection « Ligne de face » haute couture hiver 1950-1951
Satin de soie, velours de soie, broderie par Lesage de fils métalliques, cordonnet, perles et strass
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière
Le parcours de l’exposition se prolonge par l’évocation de ses créations dans le cinéma des années 1920, par exemple dans L’Inhumaine de Marcel L’Herbier. Il s’achève par l’influence de Poiret sur les couturiers et créateurs de mode des XXe et XXIe siècles. Des couturiers comme John Galliano, Christian Dior, Christian Lacroix
et Yves Saint Laurent ont puisé dans l’orientalisme, le folklore, l’esprit de fête et les arts du spectacle. À l’image de Paul Poiret, ils ont incarné le rôle de directeurs artistiques, donnant à la mode une dimension narrative et spectaculaire. Paul Poiret a été le premier couturier à faire appel à des artistes pour intervenir sur ses textiles, décors, illustrations et autres moyens de communication. Il est de ce fait le pionnier de ce que l’on appelle aujourd’hui les « collabs » ; pratique commune depuis le début des années 2000 entre les marques de mode
et les artistes.