En 1973, l’Association des Psychiatres Américains (APsaA) retirait l’homosexualité de la liste des troubles mentaux. En 1982, la France abolissait deux alinéas des articles 330 et 331 du Code pénal qui, dans la pratique, discriminaient les homosexuels. Le 17 mai 1990, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) supprimait à son tour l’homosexualité de la Classification internationale des maladies.
Dans cette chronologie d’évènements majeurs pour l’égalité, c’est cette dernière date qui fut retenue pour créer, à partir de 2005, la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. A compter de cette année, outre les mobilisations portées depuis longtemps par la société civile, organismes publics et associations rappellent régulièrement la nécessité de lutter contre les discriminations et les violences subies par les personnes LGBT. Le département Design graphique et publicité du musée des Arts décoratifs conserve plusieurs témoignages de cet engagement essentiel.
En 2005, pour la première édition de la Journée internationale contre l’homophobie, Jérôme Blanquet réalise un clip dans lequel, à la manière du célèbre jeu vidéo Tetris et sur l’air de “La Belle vie” de Sacha Distel, deux silhouettes animées s’échangent un message d’amour avant d’être percutées et emprisonnées par des modules renvoyant aux agressions subies. Le réalisateur représente ici l’homophobie comme un système de violences et met en évidence son incidence sur la vie des victimes. Grâce à sa désincarnation, le clip transmet un message universel.
La stigmatisation d’un système conduisant à l’isolement de la victime est lui aussi au cœur du discours dans le film commandé en 2009 par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Ce film, commandé à l’agence TBWA et réalisé par Jean-Philippe Amar, principalement connu pour ses téléfilms, fait partie d’une série en dix épisodes intitulés “Flagrants délits”. Inspirés de faits réels, tournés chacun en un plan-séquence et filmés en caméra subjective, ils illustrent l’irruption de la discrimination dans la vie quotidienne des protagonistes pour susciter l’empathie du spectateur et mobiliser sa compréhension du phénomène.
En prévision d’une diffusion à partir du 17 mai 2021, l’agence Babel signe la campagne “Face à l’intolérance, à nous de faire la différence” pour l’établissement public Santé publique France afin de sensibiliser les Français à l’acceptation des minorités sexuelles dans leur diversité et la nécessité de faire cesser les discriminations. Réalisé par Lucy Luscombe, diplômée du Central St Martins College de Londres, le film met en scène de manière douce et sensible les quotidiens de couples d’amoureux successivement heurtés par la suspicion, les regards inquisiteurs, le rejet, voire la violence pour finalement se conclure dans la compréhension et l’acceptation. La chanson “Nous les amoureux”, interprétée par Jean-Claude Pascal, gagnant de l’Eurovision en 1961 pour le Luxembourg, fait écho au récit. Le texte, à double interprétation, raconte les amours réprimées des couples homosexuels. Ce film de 120 secondes sera décliné dans plusieurs formats courts dont deux ont été versés dans les collections du département Design graphique et publicité.
Dans le champ des médias de masse, et bien avant le film, l’affiche a joué un rôle crucial pour la diffusion des idées dans l’espace public, en particulier pour la défense de l’égalité. Parallèlement au film de Lucy Luscombe, Babel réalise, toujours pour Santé publique France, cinq affiches avec la collaboration de Maciek Pozoga. Connu pour ses portraits et la qualité documentaire de son travail, le photographe met en scène des personnes LGBT enlacées par leurs proches comme autant de témoignages d’une acceptation inconditionnelle. Cette campagne a été diffusée dans les villes au format abribus du 17 mai 2021 jusqu’au début de l’été.
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S’il s’agissait jusqu’ici d’illustrer l’acceptation dans une démarche pédagogique, le discours visuel sur les discriminations LGBT s’inscrit aussi dans la tradition esthétique de la lutte contestataire plus généralement mise en œuvre par les graphistes engagés de la décennie 1965-1975. Les affiches dessinées par Jérôme Corgier pour la Direction de la communication de la ville de Montreuil à partir de 2011 sont issues de cet héritage. Un poing levé, symbole de la contestation depuis les années 1930, porte les couleurs du drapeau arc-en-ciel, étendard de la communauté LGBT. En 2013, selon le comité IDAHO, créateur de la Journée mondiale contre l’homophobie, Montreuil sera d’ailleurs classée 5e parmi les cinquante villes françaises les plus engagées dans cette lutte.
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Cette même année 2013, le collectif Formes Vives, “atelier de communication politique, utopique et exigeante” formé par les “trois joyeux graphistes” Nicolas Filloque, Adrien Zammit et Geoffroy Pithon, crée, à l’invitation de la maison d’édition associative Ultra (Brest), une carte postale commémorant les émeutes de Stonewall, restées dans la mémoire collective comme le début des luttes contre l’homophobie. Publiée le 28 juin, la carte célèbre le début des soulèvements spontanés qui ont eu lieu dans le quartier de Greenwich village à New-York 44 ans plus tôt, jour pour jour, le 28 juin 1969. Sur la carte, un policier à cheval, matraque dressée, apparaît comme piégé au centre de cercles concentrique aux couleurs du drapeau arc-en-ciel.
À côté des films, des affiches et des supports éditoriaux classiques, les messages du 17 mai peuvent revêtir des formes beaucoup plus inattendues. C’est ainsi qu’en 2016, l’agence Datakalab met au point “Homophobiol, premier traitement contre l’homophobie” à la demande d’AIDES et ExAequo, associations française et belge de lutte contre le SIDA. L’objet, qui se présente comme une boîte de comprimés ordinaire dont le packaging reprend l’ensemble des codes visuels associés à cette typologie d’emballage (carton blanc, typographie efficace, données d’observance, logos, etc...), contient en réalité un bonbon et une notice posologique rédigée avec humour ainsi qu’une carte géostatistique illustrant l’état de la pénalisation de l’homosexualité dans le monde ; car “traiter l’homophobie c’est aussi faire reculer le SIDA”.