Homme aux multiples facettes, grand
couturier, fondateur de la première
bibliothèque d’art et d’archéologie
publique en France et d’une
bibliothèque littéraire, Jacques Doucet
est aujourd’hui plus connu pour son
activité de mécène et de collectionneur
d’art moderne. Il compte, parmi ses
plus belles acquisitions, des oeuvres
d’Henri Matisse, Francis Picabia,
Amedeo Modigliani, Paul Klee, Marcel
Duchamp ou encore Constantin Brancusi
et surtout Les Demoiselles d’Avignon.
C’est sur les conseils d’André Breton
que Doucet achète en 1923 ce chef-d’oeuvre
de Pablo Picasso, aujourd’hui
au Museum of Modern Art à New York.
Jacques Doucet est également un des
grands mécènes de l’Art déco. Une partie
de sa collection de mobilier, qui comprend
plusieurs pièces de créateurs tels que
Paul Iribe, Pierre Legrain ou André Groult,
est aujourd’hui conservée au musée des
Arts décoratifs.
Pourtant, avant de se consacrer avec tant
d’enthousiasme à la modernité, Doucet
rassemble entre le milieu des années
1870 et 1912 une importante collection
d’œuvres d’art du XVIIIe siècle : objets d’art
français et asiatiques, peintures italiennes,
espagnoles et anglaises, dessins,
pastels... C’est pour abriter sa collection
qu’il décide de se faire construire en
1903 son hôtel particulier, situé rue
Spontini à Paris que des photographies
et archives de l’INHA viennent ici illustrer.
Tandis que les plans de l’architecte
Louis Parent (1854-1909) prennent
déjà en compte les décors anciens
que possède Doucet et les œuvres
importantes de sa collection, le travail de
décoration de l’hôtel est confié au peintre
décorateur Adrien Karbowsky (1855-1945)
et au sculpteur Georges Hoentschel
(1855-1915).
Aujourd’hui conservés à la bibliothèque
de l’INHA, les 31 dessins d’Adrien
Karbowsky, délicatement colorés
à l’aquarelle, font renaître ce monument
édifié à la gloire de ces collections
du XVIIIe siècle, qui connaît une existence
éphémère. À la surprise générale, Jacques
Doucet vend aux enchères quasiment
toutes ses œuvres en 1912 et quitte
définitivement l’hôtel à la fin de l’année
1913. Si les raisons de ce départ
demeurent aujourd’hui incertaines,
il est probable qu’il soit lié au décès
de sa maîtresse, Jeanne Raimon, née
Ruaud, assassinée le 28 février 1911
par son mari, alors qu’elle avait décidé
de le quitter pour épouser son amant.
Exceptionnels pour leurs qualités
esthétiques, les dessins jouent un rôle
de témoignage dans l’appréhension
des collections et leur accrochage :
ils montrent que cet ensemble constitué
par Doucet est bien au cœur du projet
décoratif. Les visiteurs découvrent,
à travers ces dessins, les décors de la rue
Spontini où chaque objet y a sa place,
soigneusement pensée, tels que ceux
du grand vestibule, le décor Directoire,
le salon des pastels qui rassemblent des
oeuvres d’Hubert Robert, Jean Honoré
Fragonard, Louise Élisabeth Vigée
Le Brun, Antoine Watteau et François
Boucher ou enfin le majestueux salon
aux lambris anciens et modernes
de style Régence.
L’exposition retrace, tout au long
du parcours, les liens étroits entre ces
deux collectionneurs contemporains
l’un de l’autre. Si Jacques Doucet
et Moïse de Camondo ne semblent
pas avoir été proches ou même s’être
fréquentés, ils ont pourtant en commun
une passion pour le XVIIIe siècle et des
démarches de collectionneurs très
comparables. Comme Doucet, Camondo
a déjà une collection qu’il entreprend
d’enrichir pendant la construction
de l’hôtel. Spectaculaire, la vente aux
enchères de la collection de Doucet
en 1912 attire les plus grands musées,
marchands et amateurs, français
et étrangers, dont Moïse de Camondo.
L’exposition révèle les pratiques
distinctes de ces deux collectionneurs :
contrairement à Camondo, très attentif
à la cohérence temporelle des œuvres
qu’il assemble et qui se concentre
sur des objets datés de la seconde
moitié du XVIIIe siècle, Doucet fait primer
l’équilibre visuel de l’accrochage sur
sa cohérence historique ou intellectuelle.
Il opère également des rapprochements
thématiques audacieux tel que l’érotisme :
la gouache de Pierre Antoine Baudouin
dans le salon des pastels est accrochée
avec « Le Feu aux poudres » de Fragonard,
peinture aujourd’hui au Louvre, et une
terre cuite de Clodion, « L’Innocence »,
désormais au Metropolitan Museum of Art,
à New York.
En mettant en lumière Jacques Doucet,
une figure fondatrice de l’INHA mais
également grand mécène des Arts
Décoratifs, qui comprend le musée
éponyme et le musée Nissim
de Camondo, cette exposition rend
hommage à l’histoire de ces deux
grandes institutions.