Plus ça change (1918)
La première est la reprise du 21 septembre 1918 de Plus ça change, féerie comique de Rip représentée pour la première fois à Paris le 7 septembre 1915 au théâtre Michel. Elle raconte le voyage à travers le temps du baron Jolibois des Sardines qui fuit sa patrie dévastée par la guerre et sa maîtresse qui le trompe. À bord d’une machine à remonter le temps inventée par le savant Biscuit, il traverse les époques, de la Révolution française à la Préhistoire en passant par Louis XIV, Charles VI, l’Égypte de Cléopâtre ou encore l’Antiquité grecque. Deux constantes demeurent à travers chaque tableau : la guerre et la femme infidèle. Cette morale drôle et acerbe à la fois résonne avec le contexte de sa création, pendant la Première Guerre mondiale.
En 1918, Édouard Bénédictus succède à Paul Poiret qui avait conçu les costumes de cette pièce pour sa reprise précédente, en 19171. Le Musée des Arts Décoratifs conserve la maquette du rideau de scène de Plus ça change, orné d’une frise stylisée de fleurs de lotus évoquant l’Égypte antique. Le tableau de Cléopâtre et Antoine est justement un des ajouts de Rip pour la reprise de 1918. Cette maquette du rideau est complétée par un ensemble de dessins de costumes qui évoquent les époques traversées par Jolibois ou qui habillent les ballerines représentant les péchés capitaux2. Tout comme les représentations précédentes, celle-ci est un succès : « Quand on joue Plus ça change, c’est toujours une première. Le théâtre Michel a trouvé là son Arlésienne, son spectacle essentiel, exclusif, où la fantaisie, la satire, toute la liberté dans le théâtre s’accordent avec le chant et la danse pour la récréation de l’esprit et des sens. [...] Aujourd’hui, elle revient, plus riche encore et toujours aussi jeune3. »
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Les Mille et Une Nuits (1920)
La deuxième pièce bien représentée dans le fonds Bénédictus est la féerie orientale des Mille et Une Nuits, écrite par Maurice Verne avec le soutien de Sarah Bernhardt, et dirigée par Firmin Gémier4. Elle est créée au théâtre des Champs-Élysées le 12 mai 1920. Véritable superproduction, elle nécessite des frais colossaux, « plusieurs centaines de mille francs », avec ses soixante artistes, deux cents figurants, son corps de ballets, ses décors, ses musiciens5.
Les Mille et Une Nuits ne doivent initialement donner lieu qu’à quinze représentations de gala avant d’entamer une tournée européenne ; il y en aura finalement vingt de plus. « Les Mille et Une Nuits ont réalisé, au Grand Théâtre des Champs-Élysées, en trente-cinq galas, la somme de quatre cent mille francs de recettes. C’est probablement le premier record de ce genre pour la pièce d’un auteur qui débutait au théâtre6. » Les représentations de gala accueillent l’élite de la société parisienne mais aussi d’éminents hôtes étrangers, comme la famille royale de Grèce7 ou encore le maharajah, le prince et la princesse de Kapurthala8. Puis, face au succès colossal rencontré, la féerie est reprise sans modification à partir du 12 juin au théâtre des Variétés, qui repousse pour cela sa fermeture annuelle9.
Outre le faste de la représentation, le succès de cette féerie tient aussi à sa distribution qui réunit de grands noms des arts du spectacle, comme Andrée Mégard, Régina Camier, Victor Francen, le danseur Habib Benglia ou encore le clown Footit. Ce dernier, binôme du célèbre clown Chocolat, est mis à l’honneur dans une « version spéciale destinée à la jeunesse10 » des Mille et Une Nuits, dont le caractère souvent grivois est peu approprié pour un jeune public.
La réécriture légère de l’histoire de Shéhérazade et du sultan Shahryar par Maurice Verne s’attache davantage à la restitution d’un Orient traité au goût du jour qu’à celle du conte d’origine. Cette pièce est à son tour allégée pour la représentation de la féerie. Verne en fait part, non sans amertume, à André Antoine, comédien, metteur en scène et directeur de théâtre : « La moitié du texte a disparu. On a créé des tableaux vivants […]. Les danses ont remplacé harmonieusement mes pauvres mots qui voulaient la cohésion et l’harmonie de l’œuvre. […] Mais que devient le vrai réalisme des contes, au milieu de l’enchevêtrement des symboles et des réalités, sur la scène des Champs-Élysées ? […] C’est dit-on une grosse affaire à cause de Londres et de l’Amérique. Il ne faut donc pas me plaindre, puisqu’on m’a joué et qu’on m’a montré princièrement. Le théâtre est tout de même une drôle de chose11 . »
Décrite comme une « lumineuse fresque indo-persane » et comme une « épopée de grâce, de meurtre, de mysticisme12 », Les Mille et Une Nuits de Verne s’épanouit dans l’atmosphère créée par « des effets de lumière, des parfums brûlés13 », l’opulence des décors et costumes dont les maquettes sont confiées à Édouard Bénédictus14. Ses dessins, précieux et chatoyants, font surgir le palais du calife, le bain des sultanes ou la mosquée, habillent des bouffons, des princesses, des danseuses ou encore des cortèges d’animaux parfois fantastiques. Ils sont nourris par des recherches sur les motifs animaux et géométriques et par une réflexion poussée sur la construction des éléments de décor, dont on trouve la trace dans les carnets de l’artiste. Ceux-ci témoignent de l’investissement de Bénédictus et de son imagination foisonnante mise au service de ces représentations.
Pistes ouvertes
Cette exposition est aussi l’occasion d’identifier quelques dessins. Le Musée des Arts Décoratifs en conserve deux pour le costume d’Acis dans Polyphème.
À ceux-ci s’ajoute un paysage de bord de mer dans lequel on a pu reconnaître une esquisse pour la maquette du rideau du deuxième acte de cette pièce. Le département des Arts du spectacle de la BnF en possède une autre version15, datée de 1918, ainsi que deux maquettes de costumes dont celui de Polyphème16. La représentation pour laquelle Édouard Bénédictus a conçu ces costumes et ce rideau devait reprendre le texte d’Albert Samain, pour lequel Jean Cras écrit une partition en 1921.
Ce drame lyrique ne s’inspire pas du terrible cyclope d’Homère, mais du personnage de Théocrite et d’Ovide : le géant, épris de la nymphe Galatée, se crève les yeux en voyant qu’elle lui préfère le jeune berger Acis17. Cependant, la date et le lieu de la représentation n’ont pas pu être retrouvés avec certitude : il pourrait s’agir de celle de 1922 à l’Opéra-Comique18.
Le Musée des Arts Décoratifs conserve encore quelques maquettes de Bénédictus pour des décors qui ne sont pas identifiés et pour lesquels aucune piste n’a pu être avancée. D’autres, d’une qualité esthétique moindre, semblent correspondre à une pièce intitulée Le Marchand de désespoirs, écrite par J. Séverin-Malafaÿde, créée le 15 avril 1898 au théâtre du Grand-Guignol et recréée dans une nouvelle version le 7 août 1900 à Bagnères-de-Luchon. Malheureusement, aucune trace de cette pièce n’a été trouvée pour la période d’activité de Bénédictus. Si cette exposition a permis de lever le mystère sur la destination de la plupart de ses dessins pour les arts du spectacle, quelques découvertes restent encore à faire.