L’écrivain et céramiste britannique Edmund de Waal est l’invité du Musée Nissim de Camondo du 7 octobre 2021 au 15 mai 2022 pour une carte blanche, une première dans ce lieu singulier et mémorial.

En écho à son nouveau livre « Lettres à Camondo » (Éditions Les Arts Décoratifs) paru le 16 avril 2021, dans lequel l’auteur retrace avec sensibilité la tragédie de la famille de Camondo, cette exposition est une autre manière pour Edmund de Waal de revisiter une maison de famille au destin tragique, qui résonne singulièrement avec celle de sa famille Viennoise en 1938. Elle porte la marque de sa passion pour la littérature et témoigne de son obsession de toujours pour la porcelaine.

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Avec le soutien du Comité International du Musée des Arts Décoratifs et tout particulièrement de Monsieur Pierre-André Maus.

Présentation
Edmund de Waal, « muet, I », 2021
Edmund de Waal, «  muet, I  », 2021
Porcelaine, or, chêne, oxyde de fer rouge et plomb
© Edmund de Waal. Photo : Alzbeta Jaresova

Auteur du best-seller mondial « La Mémoire retrouvée », publié en 2011, réédité en 2015 sous le titre « Le lièvre aux yeux d’ambre », Edmund de Waal est également un céramiste de renom. Aussi bien dans sa démarche littéraire qu’artistique, il explore continuellement des thèmes qui lui sont chers comme la diaspora, la mémoire ou la matérialité. Ses créations, qui redonnent vie à des histoires intimes liées à la perte ou à l’exil, sont exposées dans les musées et galeries du monde entier.

L’exposition au Musée Nissim de Camondo est conçue comme un dialogue intime entre les œuvres d’Edmund de Waal et le mobilier historique de la demeure, édifiée par Moïse de Camondo en 1911, pour y accueillir sa collection d’œuvres d’art français du XVIIIe siècle. En mémoire de son fils Nissim, mort au combat en 1917, Moïse lègue à l’État français son hôtel et ses collections : l’hôtel particulier devient en 1936 le Musée Nissim de Camondo dont la gestion est confiée à l’Union centrale des Arts décoratifs, aujourd’hui Les Arts Décoratifs.

Dans une mise en scène sensible et contemplative, Edmund de Waal présente un nouvel ensemble d’œuvres qui incarnent des conversations sur la famille, offrant à chacune des pièces exposées l’espace privilégié pour une réflexion sur la mémoire.

Edmund de Waal, {petrichor}, installation, Musée Nissim de Camondo, 2021
Edmund de Waal, petrichor, installation, Musée Nissim de Camondo, 2021
© MAD, Paris / Christophe Dellière. Courtesy of the artist and of Musée des Arts Décoratifs, Paris

Dans la cour d’honneur du musée, une série de huit sculptures en pierre dorée, plus connue en Angleterre sous le nom de Hornton stone, accueille les visiteurs. Ces blocs monumentaux polis jusqu’à la finesse sont conçus comme une invitation à s’asseoir. Ils sont ornés d’éléments de plomb et d’or, illustrant la perte et la réparation, en évocation aux céramiques japonaises élémentaires, réparées avec délicatesse lorsqu’elles ont été brisées, à l’instar de la pratique du Kintsugi.

Dans le vestibule, une des lettres du céramiste s’adressant à Moïse de Camondo repose sur une longue table : elle est réécrite avec des couches de porcelaine teintée d’or. De salles en salles, le visiteur découvre tessons, pots, vases, et mots rédigés sur des couches de porcelaine aussi fine et fragile que du papier et disposés dans des vitrines discrètes et minimalistes. Edmund de Waal convoque un univers épuré et sensible, créé en réponse à l’histoire de ce lieu de mémoire.

Cette exposition, inédite pour le Musée Nissim de Camondo, offre un nouveau regard sur la riche collection de mobilier et d’objets d’art du XVIIIe siècle rassemblée par Moïse de Camondo en les juxtaposant à des pièces contemporaines, révélant tout ce qu’il y a de plus vivant dans l’éternel et l’immuable. « Lettres à Camondo » reprend ainsi le fil des relations que l’artiste entretient avec d’autres musées de collectionneurs, comme le Waddesdon Manor, demeure de Ferdinand de Rothschild située à Aylesbury dans le Buckinghamshire, et la Frick Collection, à New York.

Découvrez le film d’Anna-Claria Ostasenko Bogdanoff

« 14h33. Je franchis la grille de l’hôtel du 63 rue de Monceau. Je contourne le gravier ordonné, de peur d’y laisser une trace. Je crois que Moïse de Camondo n’aimait pas les traces. La trace dérange. J’entre. Le soleil tire des traits dans l’obscurité. Le sol en damier ressemble à un immense échiquier. Il n y a qu’à avancer de quelques cases pour reculer dans le temps. J’emprunte l’escalier de service, dérobé à la vue, pour installer ma caméra dans l’office.

15h18. Edmund de Waal parcourt à haute voix les lignes de « Lettres à Camondo ». Deux caméras lui font face. Dans l’une, nous sommes le 31 mars 2022, dans l’autre, quelque part en 1935. Nissim a disparu il y a près de 18 ans. Moïse de Camondo ne va maintenant plus tarder à mourir, lui aussi. Tout, même sa mort, est en ordre.

17h05. Edmund referme son livre comme une blessure que l’on aime. Personne ne répondra à ces lettres. Néanmoins les vases, les guéridons, les porcelaines, les candélabres, les pendules, ne cesseront jamais de dialoguer. Je pars sans laisser d’autre trace que celle de mon regard. Il restera les images, cette autre manière d’abriter la mémoire. D’éviter la dispersion. Parfois, les traces ordonnent l’Histoire. »

Anna-Claria Ostasenko

Réalisation : Anna-Claria Ostasenko / Musique : Wenceslas Ostasenko / Texte et voix : Edmund de Waal / Image : Malte Daniel Hoekstra / Steadycam : Denis Triqueneaux

Texte d’Edmund de Waal

C’est une rue que je connais bien. Cette belle colline de demeures dorées en lisière du parc Monceau est le lieu des commencements, un endroit où s’établissent des familles qui deviennent françaises. Les histoires sont chatoyantes, fissiles et vous brisent le cœur.

Moïse de Camondo et son fils, le lieutenant Nissim de Camondo, dans le jardin du 63, rue de Monceau, été 1916
Moïse de Camondo et son fils, le lieutenant Nissim de Camondo, dans le jardin du 63, rue de Monceau, été 1916
Archives du Musée Nissim de Camondo
© MAD, Paris

Le Musée Nissim de Camondo est entré dans ma vie il y a longtemps. Dans les années 1920, ma grand-mère rendit visite à ses cousins, à dix numéros seulement de l’hôtel. Je l’ai beaucoup fréquenté lorsque j’ai entrepris l’histoire d’une collection dont j’avais hérité, acquise dans les années 1870. L’invitation à réaliser une exposition ici même, dans cette demeure familiale, représentait un honneur qui s’ombrait d’anxiété. Ce n’est pas simple. On ne devrait jamais abruptement apporter du neuf dans un lieu si imprégné d’histoire. Un frisson d’intrusion. Où sont les limites à ne pas franchir ? Ce n’est pas une maison vide.

Elle est loin d’être vide. Dans son testament, Moïse de Camondo a stipulé qu’il voulait que rien ne soit déplacé. Ne prêtez pas les objets. Gardez les volets fermés, ne laissez pas la poussière s’installer, n’ajoutez pas à ces collections.

Ces pièces forment en elles-mêmes une œuvre d’art, un lieu de mémoire pour son père et pour son fils, mort à la guerre. Ce don à la France était pour Moïse une manière de se projeter dans l’avenir en maintenant la mémoire. Il ne protégea pas sa famille. Il est devenu un mémorial pour sa fille Béatrice, son mari Léon et leurs deux enfants, Fanny et Bertrand, assassinés à Auschwitz.

Edmund de Waal, {muet, V}, installation, Musée Nissim de Camondo, 2021
Edmund de Waal, muet, V, installation, Musée Nissim de Camondo, 2021
© MAD, Paris / Christophe Dellière. Courtesy of the artist and of Musée des Arts Décoratifs, Paris

Je l’écoute. J’écoute la demeure. Elle bruit de la rumeur des cuisines, de l’office du maître d’hôtel, de la bibliothèque. Puis je me rends dans mon atelier où je commence quelques réalisations en travaillant la porcelaine, l’or, la pierre. Je pense à l’endroit où je pourrais les disposer pour qu’elles amplifient sans heurt certains des échos de l’hôtel, recueillent certains des silences. Je pense qu’il est possible d’être là, brièvement. Je pense qu’il est possible de ne pas déplacer les choses, mais d’ajouter. Car c’est une demeure d’archives, de choses appréciées puis remisées. À l’étage des combles, on ouvre la porte d’un placard et on le découvre empli de luminaires, un autre et c’est une malle Vuitton. Une pièce pleine de chaises dorées. Des draps recouvrent les meubles de l’habillage de Béatrice.

Dans mon atelier, j’écris à Moïse sur la collection, sur la judéité, sur la cuisine et les chiens, sur Proust, la famille et les liens d’appartenance. Des lettres qui se multiplient jusqu’à former un livre, Lettres à Camondo, qui en compte cinquante-huit.

Je réalise des petits groupes avec la porcelaine, le chêne et l’or comme matériaux. Je mélange ces fragments. Je les dispose sur les secrétaires où Moïse écrivait à ses amis et aux marchands d’art, sur les bureaux où le chef et le maître d’hôtel écrivaient leurs listes, leurs commandes aux fournisseurs. Je veux ajouter une nouvelle couche aux archives. J’ai décidé que Moïse avait besoin d’un nouveau secrétaire. Il en possédait quantité. La plupart des pièces abritent un endroit pour s’asseoir et écrire. Mon bureau revêt la forme d’une lettre, de mots écrits en porcelaine appliqués sur la feuille d’or. J’inscris : « I find this difficult. »

Edmund de Waal, « i.m. (Nissim) », 2021
Edmund de Waal, «  i.m. (Nissim)  », 2021
Porcelaine, or, plomb, pigment rouge, aluminium, plexiglas et marbre
© Edmund de Waal. Photo : Alzbeta Jaresova

Je glisse quelques tessons dans un tiroir du bonheur-du-jour orné de plaques de Sèvres. Je glisse quelques notes dans la bibliothèque et quelques bols dans le cabinet des porcelaines pour tenir compagnie aux beaux oiseaux de Buffon. D’autres coupes encore dans l’office du maître d’hôtel où l’on réglait avec vigilance la circulation des objets.

J’ai réalisé cinq vitrines noires garnies de tessons et de plomb. Des fragments pour étayer les ruines. Des stèles pour la famille, pour Nissim, Béatrice, Léon, Fanny et Bertrand. In memoriam.

J’ai installé dans la cour d’honneur huit bancs en pierre, pour faire une pause seul ou en compagnie. Ils sont en pierre de Homton, une pierre brune et dorée traversée de belles bandes sombres. Ils sont polis pour imiter la patine du temps. Des feuilles de plomb doré épousent certains des bords. On peut ne pas les remarquer. C’est là ma forme de kintsugi, la façon que l’on a en Chine et au Japon de réparer certaines porcelaines brisées avec de la laque et de la feuille d’or, comme pour signer la perte.

On ne saurait réparer cette demeure ou cette famille. Mais l’on peut indiquer quelques brisures. Les indiquer proprement, dignement, avec affection. Puis s’en aller à nouveau et laisser la demeure être.

Edmund de Waal

Le catalogue
« Lettres à Camondo », le livre

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