Au cours du premier tiers du XVIIIe siècle, le bronze doré prend une importance nouvelle dans le mobilier : les meubles se couvrent de bronzes d’applique qui soulignent le décor et protègent les arêtes et l’extrémité des pieds ; les cheminées se parent de chenets somptueusement décorés ; les crémones, les poignées de fenêtres et les boutons de porte sont désormais du ressort du bronzier-ciseleur. Ébéniste, ciseleur, doreur et sculpteur, André-Charles Boulle dirigea de 1664 à 1732 un atelier implanté dans l’enceinte du Louvre, qui compta jusqu’à vingt-six personnes, créant à la fois les meubles d’ébénisterie qui ont fait sa célébrité et des bronzes de qualité exceptionnelle. Homme cultivé, à la forte personnalité, Boulle avait réuni une vaste collection de peintures, de dessins d’ornements et de sculptures, source infinie d’inspiration. Soucieux de sa postérité artistique, Boulle a édité une série de planches illustrant les principaux aspects de son œuvre, les Nouveaux Deisseins de meubles et ouvrages de bronze et de marqueterie… Ces documents sont autant de références précieuses qui permettent de reconstituer son œuvre. Parmi les luminaires représentés sur la planche n°3, un « bras pour un grand cabinet » correspond à l’un des éléments de cette paire. Il semble que Boulle les ait nommés « bras à lézard » comme le laisse supposer la mention dans l’inventaire, dressé après sa mort, en 1732 : « conservés dans le fond de l’atelier, models des bras à lézards ». Formés de deux branches aux enroulements dissymétriques et de binets différents – fleur stylisée aux pétales tombant pour l’un et à cannelures pour l’autre –, ils s’accrochaient de part et d’autre d’un miroir, respectant la symétrie qui régissait alors l’ordonnancement de la décoration intérieure. La branche la plus proche de la glace s’y reflétait, créant par un jeu de reflets la séduisante illusion d’un foisonnement de sources lumineuses. Un lézard descend le long de la branche la plus haute, dont il épouse la ligne sinueuse ; ne s’agirait-il pas plutôt d’une salamandre, animal mythique qui, croyait-on, vivait dans le feu où il puisait vie et protection sans se consumer, et qu’il avait aussi le pouvoir d’éteindre ? Dessous se dresse un dragon menaçant, autre animal associé au feu, dont la queue se perd dans les ornements feuillus de la seconde branche. À l’affût, la salamandre semble le narguer, prête à éteindre le feu qu’il est sur le point de cracher. Le dragon est juché sur une petite console en gaine moulurée, ornée d’une chute de piastres et soutenue par une tête de Maure enturbanné, évocation des terres chaudes du continent africain et signe discret de l’engouement pour l’exotisme.
S. M.
Jean-Nérée Ronfort, « André-Charles Boulle : die Bronzearbeiten und seine Werkstatt im Louvre », in Hans Ottomeyer et Peter Pröschel, Vergoldete Bronzen, die Bronzearbeiten des Spätbarock und Klassizismus, Munich, Klinkhardt & Biermann, 1986, cat. 4, p. 497.