« Je suis de mon enfance »
Né à Lyon le 29 juin 1900, Antoine
de Saint-Exupéry a durant toute sa vie
célébré l’enfance, la part d’éternité des
premières années, qui portent en germe
l’ébauche de la vie future. L’écriture
du Petit Prince doit beaucoup à cet âge
d’or fait de joies simples et d’imagination,
elle est la matérialisation d’un rapport
émerveillé au monde.
« Quelques-uns savent ne pas vieillir
et rester poètes » : dans le dialogue entre
le petit prince et le pilote, Saint-Exupéry
dessine une frontière perméable entre
l’enfance et l’âge adulte. Le pilote sait
se fondre parmi les grandes personnes
sans en être vraiment une. Il n’est pour
autant plus un enfant, tant l’exaspèrent
parfois les questions incessantes du petit
prince – quant à lui capable de faire face
à ses responsabilités en entretenant seul
sa planète et sa rose, comme un adulte.
« Il ne faut pas écrire de contes de fées,
j’écrirai un conte sur l’avion »
Le couple formé par l’aviation et l’écriture
anime l’œuvre de Saint-Exupéry, dans
une quête d’authenticité : l’expérience
est indissociable du récit que l’on peut
en faire. Ses aventures sur la ligne
Casablanca-Dakar de l’Aéropostale
en 1926, comme chef d’escale à Cap
Juby dans le Sahara entre 1927 et 1928,
ou directeur de l’Aeroposta Argentina
en 1929 sont susceptibles de créer des
récits inédits et palpitants. Héraut des
pionniers de l’aviation, il devient un auteur
incontournable, de son premier roman
Courrier Sud en 1929 à Vol de Nuit,
couronné du prix Femina en 1931.
Saint-Exupéry s’engage ensuite dans
des raids aériens et des campagnes
de promotion de l’avion comme moyen
de transport, avec Air France, et profite
de son statut pour réaliser des reportages
engagés, en Espagne ou en URSS.
Cette décennie trépidante est racontée
dans Terre des Hommes, paru à la veille
de la Seconde Guerre mondiale,
et témoigne de l’humanisme invétéré
de l’auteur.
« J’ai ainsi vécu seul, sans personne
avec qui parler véritablement, jusqu’à
une panne dans le désert du Sahara
il y a six ans »
Fin décembre 1935, Saint-Exupéry
participe avec son mécanicien André
Prévot au raid aérien Paris-Saïgon, afin
de battre un record de vitesse. Mais son
Caudron Simoun F-ANRY percute une
dune dans le désert de Lybie, en Égypte.
Après avoir épuisé leurs maigres
provisions, les aventuriers décident
de s’élancer dans le désert en direction
de l’Est, à l’instar d’Henri Guillaumet lors
de sa survie miraculeuse dans les Andes.
Lors de cette longue marche, Saint-Exupéry rencontrera quelques renards des
sables. Après trois jours d’errances, les
deux hommes seront finalement sauvés
par des Bédouins le 1er janvier 1936.
Cet épisode donne lieu au chapitre central
de Terre des Hommes et constitue l’une
des grandes sources d’inspiration du Petit
Prince : Saint-Exupéry aurait-il rencontré,
au cours de son périple, un petit
personnage venu d’ailleurs ?
« Un dessin va, et l’autre ne ressemble plus »
C’est autour du dessin que l’aviateur
et le petit prince se rencontrent au début
du livre : « S’il vous plaît… dessine-moi
un mouton ! ». C’est également par
le dessin que le petit prince surgit dans
la vie de Saint-Exupéry, sous les traits d’un
petit bonhomme interrogatif ou amusé.
À la différence du pilote du Petit Prince,
qui dit avoir rapidement abandonné cette
activité, Saint-Exupéry a toujours dessiné,
souvent sur ses lettres ou ses brouillons,
parfois dans des carnets ou au milieu
de ses manuscrits. S’il se désole
de ne pas être meilleur dessinateur,
renonçant peu à peu à sa manière réaliste
au profit d’un dessin poétique et stylisé,
il se rattachera toujours à cette pratique
pour rendre compte de ses états d’âme
et de sa vision du monde.
L’immense majorité des dessins
ne portent pas de titre ni de signature,
mais cet ensemble constitue un important
témoignage du talent protéiforme
de l’auteur.
« Ainsi je ne me désolidariserai pas d’une
défaite qui, souvent, m’humiliera »
Fort de ses convictions, Saint-Exupéry tient à combattre pendant
la Seconde Guerre mondiale.
Les situations et batailles qu’il observe
depuis son avion nourrissent ses
réflexions sur le conflit. Après l’armistice,
il gagne à la fin de l’année 1940 les
États-Unis, pays où il est extrêmement
populaire, afin de convaincre
le gouvernement d’entrer en guerre contre
l’Allemagne. Il y écrira et y publiera le récit
de sa guerre, Pilote de Guerre, en anglais
Flight to Arras.
S’il est très entouré, Saint-Exupéry souffre
néanmoins d’être exilé, loin de son pays
en guerre. Il a du mal à développer son
rôle politique, et l’inaction le frustre.
Son engagement dans la Seconde Guerre
mondiale et sa situation complexe à New
York à partir de 1941 contrastent avec
la lecture du Petit Prince comme un livre
pour enfants.
« On sait que les contes de fées, c’est
la seule vérité de la vie »
Dans son exil américain, Saint-Exupéry
poursuit la rédaction de Citadelle,
sorte de conte des Mille et Une Nuits
philosophique. Afin de lui changer les
idées, ses éditeurs américains, intrigués
par les multiples petits dessins qu’ils
le voient griffonner, lui proposent d’écrire
un conte pour enfants.
Initialement prévue
pour Noël 1942, la parution du livre est
retardée par le soin apporté par Saint-Exupéry à son texte et à ses illustrations.
Il paraît au mois d’avril 1943 aux États-Unis, en français et en anglais. Il faudra
attendre la fin de la guerre pour que
Gallimard publie l’édition française à Paris,
en avril 1946.
L’œuvre de Saint-Exupéry est traversée
par un ensemble de thèmes récurrents
qui s’incarnent dans les personnages
et les épisodes du Petit Prince. Ce livre
testament présente ainsi la version la plus
aboutie de ce que l’on pourrait nommer
la morale « éxupérienne ».
Le manuscrit
S’il peut sembler curieux qu’une figure
aussi influente que Saint-Exupéry s’occupe
pendant plusieurs mois à rédiger un livre
pour enfants, c’est que Le Petit Prince
est en réalité une ample réflexion sur
les choses sérieuses. Celles qui sont
sérieuses pour le petit prince, pour
le pilote ou pour nous, et celles qui
devraient l’être.
Il est difficile de savoir si le conte
s’adresse aux enfants ou à leurs parents ;
mais cette hésitation, jamais résolue,
n’a pas d’incidence sur la force du propos
et sur la beauté poétique du récit et des
images qui l’incarnent.
Les feuillets du manuscrit du Petit
Prince, offerts par l’auteur à son amie
Silvia Hamilton et conservés à la Morgan
Library & Museum de New York, sont ici
présentés pour la première fois en France,
enrichis d’un ensemble exceptionnel,
en grande partie inédit, d’esquisses,
de dessins préparatoires et d’aquarelles
originales. Une révélation qui, suivant
le cheminement du récit, suggère une
nouvelle façon de lire et de redécouvrir
Le Petit Prince.
La bibliothèque universelle
Phénomène mondial de l’édition depuis
75 ans, Le Petit Prince a été vendu
à deux cent millions d’exemplaires, dans
presque 500 langues ou dialectes.
Chaque année, quelque cinq millions
d’exemplaires se vendent dans le monde
et les adaptions musicales, théâtrales
et audiovisuelles se multiplient.
D’abord traduit dans les langues
européennes, les traductions s’étendent
ensuite à l’Asie à partir des années
1970, jusqu’à gagner l’Afrique à la fin des
années 90. Ce succès ne l’a toutefois
pas préservé de la censure : en 1958,
le gouvernement communiste hongrois
l’interdit à la vente car il pourrait « vicier
le goût [des] enfants ».
Le Petit Prince est un gage de légitimité
pour les langues minoritaires :
sa traduction en toba, dialecte d’une
petite communauté aborigène du nord
de l’Argentine, marque la parution
du premier livre de fiction dans cette
langue. C’est aussi un formidable outil
éducatif. En 2003, le conte a par exemple
été traduit en khmer afin de lutter contre
l’illettrisme au Cambodge.