Les précurseurs du Moyen Orient

L’apparition des premiers objets en verre fabriqués par l’homme (perles, pendentifs) est antérieure à 1500 ans avant Jésus-Christ, mais c’est à partir de cette date que des récipients sont attestés aussi bien en Mésopotamie qu’en Egypte.

Le verre, pendant plus de mille ans, reste un matériau rare et précieux, aux couleurs déjà variées et vives mais opaques. Liés à la toilette, à la bijouterie, au décor ou au culte, les flacons, les perles, les éléments d’incrustation ou les sculptures sont de petites dimensions. Les deux principales techniques employées sont celles du moulage et du modelage sur un noyau d’argile, qui sont parfois suivies d’opérations à froid telles que l’abrasion et le polissage.

Les plus anciens objets en verre transparent qui nous soient parvenus datent du Ve siècle avant J.C. ; originaires de Perse, ils sont moulés puis taillés et polis et ressemblent beaucoup à la vaisselle de métal utilisée à la cour des Acheménides.

L’empire romain et l’invention du verre soufflé

La technique du verre soufflé qui engendre une production massive est originaire de la zone Syro-Palestinienne. Elle apparaît peu de temps avant la naissance du Christ et, grâce au réseau politique et commercial d’échanges et de migrations de l’Empire Romain, se diffuse très rapidement.

Cette technique, qui consiste à transformer, par soufflage, une masse de verre en fusion en bulle puis en forme creuse quelconque, a l’avantage de la rapidité d’exécution. L’idée de souffler cette « bulle » dans des moules ouvrants permet l’obtention et la reproduction d’une infinité de formes. Si le moule est sculpté en bas-relief, un décor est obtenu simultanément à la forme.

Rapidité et production à grande échelle n’excluent pas l’utilisation du soufflage pour la réalisation de pièces extrêmement précieuses et rares comme les verres à plusieurs couches gravés de scènes figuratives dont le plus fameux est le vase Barberini-Portland du British Museum.

La remarquable maîtrise de la taille et les progrès dans la chimie des couleurs sont illustrées par d’autres tours de force dont la fabrication semble localisée près de riches métropoles comme Rome ou Alexandrie. Des ateliers de fabrication plus courante ont essaimé de l’Orient à l’Occident et se sont parfois perpétués après la chute de l’Empire Romain.

La richesse et la variété des verreries du Moyen-Age sont redécouvertes par les archéologues depuis plus de vingt ans, mais l’époque médiévale restera toujours marquée par le génie des hommes du verre plat et la splendeur de leurs vitraux. Alors que l’Occident illumine ses cathédrales de couleurs transparentes, en Orient les lampes de mosquée en verre émaillé rendent également gloire à la lumière divine.

Venise ou l’âge d’or

Au XIIIe siècle, lorsque le Grand Conseil de Venise décide, pour des raisons de sécurité et de contrôle, l’installation des verreries dans l’Ile de Murano, la Guilde des verriers est déjà importante et puissante. S’ils exportent dès la fin du XIVe siècle jusqu’à Londres, c’est au cours du XVe siècle et avec la Renaissance vénitienne que leurs productions vont atteindre un degré de perfection, de variété et d’adéquation au goût de l’époque, rarement atteint dans l’histoire des arts décoratifs.

La première splendeur est l’invention d’un verre d’une grande transparence, d’une finesse et d’une légèreté remarquable qu’on nomme, en référence au cristal de roche « Cristallo ». Ce sont ensuite les verres peints à l’émail, souvent dorés, illustrés de portraits contemporains ou de scènes mythologiques que commandent les cours de l’Europe entière.

Viennent enfin tous les raffinements des filigranes de verre blanc qui, inclus dans le verre transparent, sont soumis à de longues et délicates manipulations avant d’éclore en tourbillons.

La production de ces chefs-d’œuvre ne doit pas faire oublier d’autres aspects de l’industrie verrière que la flotte et les réseaux commerciaux des Vénitiens diffusent également, à savoir les perles de verres jouant un rôle important dans le commerce des esclaves, et les miroirs qui jusqu’au XVIIe siècle sont considérés comme les plus beaux du monde.

Bien que cherchant, parfois par des moyens extrêmes, à conserver le monopole de production, les autorités vénitiennes ne peuvent empêcher la diffusion des techniques et l’installation dans l’Europe entière de verreries dites « à la façon de Venise ». La diffusion des secrets devient effective avec la publication en 1612 de l’ouvrage de A. Neri « L’Arte Vetraria », premier livre imprimé sur les techniques du verre.

Les verres et les recherches de la Renaissance

Les plaisirs que le verre donne à l’amateur d’objets d’art de la fin du Moyen-Age et de la Renaissance ne doivent pas faire oublier les services qu’il rend aux chercheurs et aux scientifiques.

Le médecin médiéval dont le principal outil de diagnostic est l’urinal en verre, l’alchimiste qui observe et expérimente les métamorphoses de la matière, l’astronome qui va révolutionner, non sans résistance, l’image du monde et de l’homme au sein de l’Univers ; tous les savants bénéficient des progrès effectués dans la maîtrise des qualités optiques et chimiques du verre.

Enfin, à partir semble-t-il de la fin du XIIIe siècle, en liaison avec les progrès dans la théorie de l’optique, les érudits, puis rapidement un plus large public, vont pouvoir améliorer leur vue défaillante grâce à des lunettes à nez ou besicles.

Du cristal au diamant

Le verre vénitien était, à cause de sa transparence, comparé au cristal de roche. Le verre que les bohêmiens mettent au point peut également, mais d’une façon différente, être comparé à ce minéral ; il en a le poids et la dureté ; se travaillant plus difficilement à chaud que celui de Venise, il s’adapte par contre très bien au décor à froid tel que la gravure à la roue.

Cette dernière technique, bien que connue sous l’antiquité, est au début du XVIIe siècle réservée au travail des pierres dures et semi-précieuses. On attribue à Caspar Lehmann (1570-1622) l‘idée d’avoir utilisé ce savoir avec le verre, d’abord en plaque puis sur des gobelets. De Prague, la technique se diffuse dans l’ensemble des pays germaniques où elle est un remarquable outil dans l’épanouissement du style Baroque.

Pendant le Moyen-Age, les déboisements réalisés par les verriers pour la chauffe des fours étaient bénéfiques puisque ouvrant les forêts à l’agriculture et aux communications. Par contre au XVIIe siècle, l’Angleterre désirant conserver l’usage du bois pour la construction navale et utiliser ses ressources en charbon, exige l’emploi de ce combustible.

Diverses adaptations sont alors nécessaires pour réussir à obtenir un verre aussi beau qu’auparavant. En augmentant les proportions d’oxyde de plomb on invente un verre lourd d’une très grande pureté et d’un éclat encore jamais atteint, celui qu’on appelle aujourd’hui, suivant des normes strictes, cristal. Son faire-valoir idéal est la taille dont une des formes les plus classiques est dite « pointe de diamant ».

Du siècle des Lumières à l’industrialisation

Aux XVIIe et XVIIIe siècles la France, dont le prestige est si important pour les arts, le mobilier, l’orfèvrerie et la céramique, produit quelques très beaux objets utilitaires en verre mais très peu de pièces somptueuses et décorées.

Au XVIIIe siècle, on goûtait parfois plusieurs vins au cours d’un même repas, mais l’idée de présenter sur la table une série de verres, chacun pour un usage approprié, se diffuse au début du XIXe siècle. Les modèles de services créés à l’époque de la Restauration sont, aujourd’hui encore, des classiques du goût bourgeois français.

Lorsque le continent adopte le verre anglais au plomb, les Français le colorent et obtiennent les cristaux opales plus connus sous le nom d’« Opalines », puis les « presse-papiers » qui fascineront un siècle plus tard l’écrivain Colette et la couturière Jeanne Lanvin.

Le verre fut la première industrie des colonies nord-américaines et l’Europe importe vers 1840 une nouvelle révolution technologique venue des Etats-Unis : il s’agit du verre pressé-moulé, qui permet une accélération des rythmes de production et un apprentissage réduit au maniement d’une machine. Du perfectionnement de ce principe naissent les procédés semi-automatiques puis automatiques de fabrication des objets creux.

Depuis le XVIIe siècle les glaces, c’est à dire les verres plats épais, à faces parallèles, utilisés pour les miroirs, sont obtenus par le coulage sur une plaque de métal suivi d’opérations de polissages, mais le verre à vitre ordinaire est toujours, au milieu du XIXe siècle, obtenu par soufflage d’un cylindre ouvert et aplati.

A la fin du XIXe siècle l’automatisation permet la fabrication en continu d’un ruban de verre plat et favorise ainsi la diffusion de l’architecture de métal et verre, puis de béton et verre.

L’Art nouveau

Les précurseurs d’un nouvel art du verre

Si l’on peut constater que l’évolution de la production verrière en France dans la première moitié du XIXe siècle correspond à la mise en place de manufactures puissantes et modernes, on constate par contre que l’originalité et la force des apports à l’histoire de la verrerie depuis la seconde moitié du siècle sont inséparables de destins d’individus. Une nouvelle histoire se construit autour des objets signés.

Une première étape apparaît avec l’œuvre de l’émailleur Philippe-Joseph Brocard (1831-1896) dont le contexte de production nous est fort mal connu, mais dont les apports sont fondamentaux.

Dès 1867, il signe et heureusement date parfois les objets en verre soufflé (on ne sait ni où, ni par qui !) qu’il décore d’émaux polychromes peints et cuits. Sa technique n’est plus dérivée des traditions d’émail sur porcelaine ou de la peinture des vitraux, mais renoue, dans le cadre d’une recherche typiquement historiciste, avec une tradition spécifiquement verrière, celle des émaux épais des verreries islamiques du XIIIe siècle et XIVe siècle. Ses oeuvres sont parfois de simples copies des modèles historiques, comme les lampes de mosquée, que les collectionneurs et les musées européens commencent alors à rechercher ; ces modèles sont découverts par un plus large public lors des présentations, exotiques ou historiques, incluses dans les Expositions Universelles, ces gigantesques accumulations, qui se succèdent après les deux coups d’envoi ayant lieu à Londres en 1851 et à Paris en 1855.

En liaison avec ce foisonnement d’informations nouvelles, tout se passe comme si les techniciens des arts industriels au XIXe siècle tentaient de maîtriser simultanément tous les savoir-faire des civilisations passées ou lointaines. Cette tentative est rendue possible par les extraordinaires développements de la chimie et de la technologie moderne, liés à l’industrialisation, mais ici exploités dans un contexte d’artisanat créateur.

Les nouvelles richesses provoquées par l’industrialisation permettent aussi à ces productions artisanales de luxe de multiplier leurs clientèles et leurs débouchés internationaux.

C’est également dans cette ambiance qu’apparaissent les projets de musées d’art industriels dont la mission première fut clairement conçue comme une promotion et une stimulation des productions contemporaines et c’est ainsi que les groupes dont l’association mènera à la création du Musée des Arts Décoratifs à Paris, débutèrent, lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1878, une collection d’oeuvres contemporaines.

Le vase « Bambou » de François-Eugène Rousseau et le vase « La carpe » d’Emile Gallé furent acquis en 1878. Tous deux évoquent à merveille l’autre grande rencontre de nombreux créateurs à cette époque : le Japon.

François-Eugène Rousseau n’était ni un manufacturier ni un artisan mais un marchand-éditeur, parisien, spécialisé en céramique et verre ; il fut le premier, dès 1867, à introduire ce fameux goût japonisant dans les arts du feu avec un service de table en faïence dont les décors animaliers furent confiés au graveur Félix Bracquemond. Pour ses verreries qui apparaissent en 1878, on ne sait s’il faut lui reconnaître la qualité d’initiateur ou de concepteur mais elles portent sa signature et ouvrent de nouvelles voies esthétiques que Gallé lui-même reconnaîtra comme celles d’un précurseur. On notera la nouvelle richesse des couleurs et l’attention tout à fait originale portée à la plasticité du verre travaillé à chaud, deux développements rendus possibles grâce à la collaboration avec la verrerie des frères Appert à Clichy.

Par ailleurs la technique, diffusée depuis la Bohême au XIXe siècle, des verres à plusieurs couches superposées puis taillées ou gravées s’ouvre à des interprétations tout à fait nouvelles lorsqu’elle s’enrichit de la découverte des verres chinois des XVIIIe et XIXe siècles, de technique apparentée, mais dérivée de la tradition des pierres dures gravées.

Rousseau en suivit l’exemple technique tout en poursuivant des buts formels et esthétiques relevant non pas de l’influence chinoise mais de celle, bien plus libre et poétique, du Japon ; d’un Japon qui ne fut pas verrier mais dessinateur, céramiste ou bronzier.

Leveillé, qui lui succédera, et deux graveurs qui furent ses collaborateurs avant de travailler en indépendant, Eugène Michel et Alphonse-Georges Reyen, forment le noyau des verriers parisiens japonisants. En 1878, la cristallerie de Baccarat proposera également de beaux décors japonisants tout en respectant son registre traditionnel du cristal transparent gravé.

Un homme d’exception : Emile Gallé

1878 est également la première grande manifestation internationale où la personnalité d’Emile Gallé apparaît. Il a repris un an auparavant la direction de la maison familiale de commerce et d’édition de faïence et de verrerie, basée à Nancy, mais jouissant déjà d’une réputation nationale. Jusqu’en 1894, date de la création de sa propre manufacture à Nancy, ses verres seront soufflés et souvent décorés à la verrerie de Meisenthal, en territoire allemand depuis la défaite de 1870, dans le cadre d’une collaboration strictement organisée, laissant à Gallé et à ses collaborateurs de l’atelier de dessin de Nancy la totale maîtrise des conceptions.

Japonisant, historicisant, orientalisant, Gallé s’essaiera avec brio à toutes les tendances de son époque, développant son répertoire avant de réussir une extraordinaire synthèse, souvent incroyable techniquement, mais surtout associant son destin d’artiste industriel à une œuvre de poète symboliste de la matière.

Les commentaires écrits, destinés au Jury, que Gallé rédige pour l’exposition du Musée des Arts Décoratifs en 1884 puis pour l’Exposition Universelle de Paris en 1889, donnent la mesure de ses qualités de chercheur, d’écrivain, de polémiste. En 1889, l’originalité et la force de sa prestation permettent déjà d’imposer son génie sur le plan international : rappelons qu’il est à cette époque autant engagé dans ses créations de céramique et mobilier que dans la verrerie.

Les objets d’art aux « Salons »

Après 1889, les Salons annuels artistiques de Paris vont, à la suite d’un long combat au nom de « l’Unité de l’Art », s’ouvrir aux créations d’objets d’art. Ces rendez-vous annuels, aux côtés des peintres, des sculpteurs, des graveurs deviennent alors le centre à partir duquel se diffusent les concepts, les styles et les techniques des objets symbolistes de l’époque Art Nouveau.

C’est là que les poèmes en verre d’Emile Gallé trouvent leur premier écrin avant de rejoindre les collections publiques et privées les plus prestigieuses. Ces années 1890 correspondent à la mise au point de la fameuse technique de la marqueterie de verre née d’une remarquable coordination de la conception, du travail à chaud et du travail à froid. Cette technique sophistiquée donne à Gallé la possibilité de maîtriser son inspiration florale et symboliste en développant les possibilités chromatiques du verre d’une façon jusqu’alors inédite.

Parallèlement à ces productions d’exception, Gallé ne néglige pas les techniques permettant des diffusions plus larges, nécessaires à l’équilibre économique d’une manufacture ; le principe de la gravure à l’acide sur des verres comportant plusieurs couches de couleurs différentes en est le meilleur exemple, repris internationalement , et exploité par la manufacture Gallé, bien après la mort du fondateur, par exemple pour les lampes à éclairage électrique.

Après 1889, les recherches solitaires d’un sculpteur passionné de polychromie, Henry Cros, trouvent le soutien de la direction des Beaux-Arts. La technique qu’il met au point, moulage de poudre de verre dans des moules détruits après cuisson, et qu’il nomme pâte de verre, se développe grâce à ce soutien de l’Etat.

Son œuvre est une des grandes originalités de la création en verre à cette époque à la fois sculpturale, figurative et poétique, donnant une nouvelle vie aux mythes anciens qu’il relie à l’esprit moderne du mouvement symboliste. Ses recherches techniques ouvriront la voie à une nouvelle branche de la verrerie d’art lorsqu’elles se diffuseront, malgré lui, à partir de 1897 par les recherches d’Albert Dammouse déjà fort connu comme céramiste.

Durant cette dernière décennie du XIXe siècle, deux nouveaux noms apparaissent qui participeront aussi aux triomphes des objets d’art lors de l’Exposition Universelles de 1900 : René Lalique, alors bijoutier mais déjà très intéressé par les possibilités du verre, et la toute jeune manufacture des frères Daum, installés à Nancy, qui débutent une production décorative en 1891.

Directement héritière et concurrente des recherches d’Emile Gallé, la production de Daum va très vite participer à la diffusion internationale de ce groupe pluridisciplinaire original, réuni autour des principes d’alliance de l’Art et de l’Industrie et officiellement organisé en 1901 : l’Ecole de Nancy.

La capacité et la rapidité d’adaptation de ces jeunes équipes de Daum restera une force de la manufacture ouverte aux nouveautés stylistiques et techniques. Elle sera par exemple, grâce à la collaboration du technicien Almaric Walter, la seule manufacture mondiale à intégrer la technique de moulage de la pâte de verre dans son répertoire à partir de 1909 ; malgré le départ de jeunes recrus comme les frères Schneider, fondateur d’une nouvelle verrerie, Daum réussit à temps le renouvellement d’inspirations et de techniques qui lui permet de s’imposer comme une des grandes manufactures françaises de l’entre-deux-guerres.

Le XXe siècle : les nouveaux rapports de l’art à l’industrie

En 1904, année de la mort de Gallé, se tient à Paris le premier Salon annuel de la Société des Artistes-décorateurs qui devient le lieu de rencontre et de diffusion des nouvelles générations de créateurs et qui sera à l’origine du projet de l’Exposition Internationale, plusieurs fois repoussée et finalement organisée à Paris en 1925.

Pour Lalique, la métamorphose qui transforme ce génial artisan bijoutier en industriel verrier, débute par ses interventions dans le flaconnage de parfumerie. La mutation de ce nouveau marché est marquée par sa rencontre avec le parfumeur François Coty dont les commandes vont lui permettre de devenir maître d’une petite manufacture verrière en région parisienne avant de concevoir sa nouvelle usine à Wingen-sur-Moder, dans ces pays de tradition verrière récupérés par la France après la victoire de 1918.

Tout en conservant la poésie et la richesse de l’esprit Art nouveau, il amène un souffle de clarté et de simplicité dans les formes et les couleurs du verre et va donner ses lettres de noblesse aux techniques industrielles du verre soufflé-moulé et du verre pressé.

Ces choix techniques et économiques iront de pair avec une évolution stylistique qui n’abandonne pas le registre végétal et où les figures, même antiquisantes, ainsi que l’ornement géométrique ou géométrisé se déclinent sur des rythmes nouveaux, à des cadences syncopées, associées à ces « années folles » fascinées par la vitesse.

François Décorchemont reste beaucoup moins connu du grand public car il choisit la création artisanale en petit atelier, donc rare et chère. Après quelques années dans la lignée des verreries fines comme des pétales de fleur et fragiles comme des coquilles d’œuf d’Albert Dammouse, il réinterprète, vers 1910, les principes de la pâte de verre d’Henry Cros. Ses « poteries » translucides aux allures de gemmes s’intègrent dans la famille des productions les plus précieuses de l’époque Art Déco, celle du groupe des « Artisans français contemporains » réunis, à partir de 1914, par la galerie parisienne de Geo Rouard, où Décorchemont côtoie le céramiste Emile Lenoble, l’orfèvre Jean Puiforcat et le tabletier Georges Bastard, et parmi les verriers, Marcel Goupy et Henri Navarre.

Le souffleur de verre Jean Sala, dont l’atelier est le premier installé au cœur d’une ville, dans le quartier de Montparnasse, exposera également au Salon des Artistes Décorateurs et sa collaboration dans les années trente avec la cristallerie de Saint-Louis marquera l’originalité de sa double identité d’artisan et de designer.

Maurice Marinot, qui ne reçoit pas sa formation dans le milieu des arts décoratifs puisqu’il était peintre, exposant avec les « Fauves », découvre le verre par hasard en 1911. Fasciné par le travail artisanal du verre à chaud, il va consacrer plus de vingt ans de sa vie à la création en verre s’astreignant au long et difficile apprentissage de la technique millénaire du soufflage. Avant de pouvoir réaliser ce désir d’un corps à corps avec le verre en fusion, il commencera par renouveler la technique de l’émail peint et inventera un nouvel usage de la gravure chimique à l’acide, l’utilisant comme un outil de gravure en profondeur, de sculpture dans le verre épais et translucide.

Mais sa démarche, refusant toute autre possibilité que l’œuvre unique et artisanale, trouvera son aboutissement, véritable synthèse de la maîtrise du geste et de la pensée, avec ses objets soufflés et modelés à chaud à partir de 1922. La nouveauté de son esthétique du verre épais, lourd et « charnu » animant la transparence de toutes les possibilités d’inclusions d’oxydes colorants ou de bulles est un des apports du XXe siècle à l’histoire mondiale de la verrerie. Le statut d’artiste qu’il revendique marque, après Gallé et Cros, un jalon fondamental dans l’histoire des « arts du feu » et de leurs relations souvent conflictuelles et mal comprises avec ce qu’il reste malheureusement toujours entendu d’appeler les « Beaux-Arts » ou les arts majeurs.

Si de nombreux autres artistes décorateurs de grandes qualités, présents dans cette exposition, enrichissent la verrerie française de très beaux objets, les oeuvres de Gallé, Cros et Marinot proposent effectivement, au-delà de la beauté, de la sensualité, de la poésie de leurs verres, des statuts nouveaux et différents au créateur verrier dans la culture occidentale de l’époque industrielle.

Après 1945 : le verre sous toutes ses formes

Les Expositions de la Triennale de Milan sont, après la guerre, les références de la création d’objets et de design. On y découvre le renouveau chatoyant du verre de Murano avec les Barovier, Seguso, Venini et leurs collaborateurs, le nouvel esprit scandinave, avec les manufactures de Kosta, Orrefors ou Iittala et enfin l’éclosion de l’école tchécoslovaque, restée quelque temps isolée.

La vitalité de ces trois pôles - italien, scandinave et tchèque - est liée à l’existence de collaborations originales et exemplaires entre des artistes et l’industrie ; il suffit, à titre d’exemple, de nommer Tapio Wirkkala en Finlande, Fulvio Bianconi à Murano ou Ludvila Smrckova en Tchécoslovaquie.

A cette série de grands créateurs « fiancés » à l’industrie va s’ajouter, à partir des années 60, un groupe toujours croissant de créateurs indépendants. C’est à cette époque que l’enseignement du verre est introduit dans de nombreuses écoles d’art, d’artisanat et de design aux Etats-Unis.

Les pionniers de cette génération qui désirent avant tout l’indépendance de la création vont mettre au point des outils miniaturisés permettant l’établissement de laboratoires individuels, dont un modèle fut celui de Jean Sala (1895-1976), installé à Montparnasse dès les années 1920. Les qualités plastiques du verre et des nouveaux verres y sont expérimentées hors des contraintes habituelles de la production commerciale.

La dynamique née de ces expériences des campus américains a des répercussions dans tous les pays où la création en verre a conservé une étincelle de vie.

Cependant, en une vingtaine d’années, la fébrilité d’indépendance des créateurs envers l’industrie s’est adoucie. L’influence du phénomène tchécoslovaque, et d’autres expériences originales en Europe Occidentale, ainsi qu’ une nouvelle ouverture des industries rendent à nouveau possible des expériences comme celle du sculpteur Henri Navarre, coulant ses ouvres de verre dans les usines « Le Pyrex » près de Fontainebleau.

Depuis quelques années, la France a rejoint ce nouveau dynamisme international ; la variété y règne, ses natifs sont souvent allés étudier à l’étranger et nombreux sont ceux qui, d’Europe ou des Etats-Unis choisissent de travailler en France et y apportent un sang nouveau.

Depuis le début des années 80, et parallèlement à un renouveau spectaculaire de l’architecture de verre dont la pyramide du Louvre est un exemple, la création en verre a été marquée par un nouvel intérêt de la part de la communauté internationale des designers dont l’italien Ettore Sottsass est une figure mythique. Et si ce ne sont plus aujourd’hui les fabricants de verre qui nomadisent, on voit les designers métisser, avec leurs voyages incessants, l’Orient et l’Occident, le Nord et le Sud, la Bohême et Venise, le cristal et le float...

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