Le Centenaire de l’hôtel Camondo, chef-d’œuvre de l’architecte René Sergent. Un chantier hors pair, 1911-1914

du 24 juin au 11 octobre 2015

C’est le 5 décembre 1910 que commence la destruction de l’hôtel particulier du comte et de la comtesse Nissim de Camondo, 63 rue de Monceau. Achevé en 1864 pour un entrepreneur de travaux publics, M. Violet, il fut l’une des premières constructions sur le parc Monceau. Nissim de Camondo l’acheta en 1870, peu après son installation en France. Il le fit agrandir et embellir par l’architecte Denis-Louis Destors, décorer et meubler suivant la mode de son temps en mêlant les époques et les styles. En juin 1910, Moïse de Camondo, son fils unique, hérita de cette demeure familiale dans laquelle sa mère, veuve depuis vingt et un ans, venait de s’éteindre.

Moïse de Camondo a alors cinquante ans. Collectionneur depuis le début des années 1890, il est passionné par le XVIIIe siècle français.

Fig. 1 : Le musée Nissim de Camondo, façade sur la cour d’honneur
2012
© MAD, Paris / photo : Luc Boegly

Vers 1900, sa collection est déjà une référence pour les arts décoratifs de l’époque Transition et du règne de Louis XVI qui représentent, selon ses propres termes, « une des gloires de la France durant la période [qu’il a] aimée entre toutes ». Jusqu’alors installé en location, il réside depuis 1899 au 19, rue Hamelin dans un vaste hôtel particulier nouvellement édifié. C’est sans doute dans ce cadre décoré et aménagé suivant ses goûts, premier réceptacle de ses œuvres d’art, qu’il mûrit le projet d’une construction qui soit l’écrin parfait et définitif de ses collections, tout en répondant aux exigences du confort moderne (fig. 1).

Pour cet homme collectionneur et esthète, mais aussi raffiné et exigeant, la poursuite de son projet de « reconstitution d’une demeure artistique du XVIIIe siècle » passe par la destruction de l’habitation Napoléon III de sa jeunesse.

Fig. 2 : Portrait de René Sergent (1865-1927)
René Bétourné, René Sergent, architecte, 1865-1927, Paris
Horizons de France, 1931, p. 3
© MAD, Paris

Pour donner forme à son rêve de bâtisseur, il fait appel à René Sergent (1865-1927) (fig. 2), qui a été pendant quinze ans le collaborateur d’Ernest Sanson, architecte de la haute société dont la réalisation la plus célèbre est le Palais rose construit entre 1896 et 1902 pour le comte Boniface de Castellane, d’après le Grand Trianon. René Sergent possède une vaste connaissance de l’architecture classique et s’est fait une spécialité du « néo-Louis XVI ». Il excelle dans la construction d’hôtels particuliers confortables, inspirés de l’œuvre d’Ange-Jacques Gabriel. Ses réalisations sont nombreuses avant la Première Guerre mondiale. Il construit à Buenos Aires, New York, Santa Fé, Londres et Paris, où il édifie notamment place Vendôme l’hôtel d’exposition des frères Duveen, célèbres marchands de mobilier du XVIIIe siècle. Il réaménage également de grands hôtels de voyageurs comme le Savoy ou le Claridge à Londres, et construit à Versailles en 1910 le célèbre Trianon Palace.

Une fois le projet de René Sergent accepté par le comte de Camondo, les ouvriers d’une quarantaine de corps de métiers se sont succédé sur le chantier pendant trois ans et plus de deux millions de francs-or1 ont été dépensés pour construire ce nouvel hôtel particulier où le sens du détail, le raffinement et le goût du confort reflètent la personnalité de son commanditaire.

Moïse de Camondo, ses deux enfants Nissim et Béatrice ainsi qu’une vingtaine de domestiques, s’y installent pendant l’été 1913. Au printemps 1914, tout est prêt et plusieurs réceptions sont données pour fêter l’achèvement de la demeure.

Il était donc opportun de célébrer en 2014 les cent ans de celle-ci. Des études approfondies2 et la réhabilitation partielle des espaces de service en 1999 en ont révélé la perfection et les secrets. Cette exposition présente l’histoire de la construction de l’hôtel à travers la chronologie du chantier, d’une part, et de montrer la collaboration féconde et le dialogue constant qui ont existé entre l’architecte et son commanditaire, d’autre part. Divers témoins matériels et beaucoup de documents d’archives nous sont parvenus : tout d’abord les plans de l’hôtel par René Sergent, mais aussi les listes d’entrepreneurs et les états de paiement qui permettent de suivre l’avancement des travaux. Certains devis extrêmement détaillés et des échanges écrits nous éclairent, en outre, sur le déroulement et la conduite de l’aménagement intérieur.

1Soit l’équivalent de près de 6 millions d’euros actuels (F. Loyer, « Un hôtel dans le goût du XVIIIe siècle », Marie-Noël de Gary [dir.], Musée Nissim de Camondo. La demeure d’un collectionneur, Paris, Les Arts Décoratifs, 2007, p. 297, note 47).

2Voir la bibliographie.

Pratique

Musée Nissim de Camondo
63 rue de Monceau
75008 Paris
Tél. : +33 (0)1 44 55 57 50
Métro : Villiers, Monceau
Bus : 30, 94, 84

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« Le Centenaire de l’hôtel Camondo, chef-d’œuvre de l’architecte René Sergent. » (English Version)
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Exposition-dossier réalisée grâce au mécénat de la Galerie Kraemer Antiquaires.

Textes rédigés par Sophie D’AIGNEAUX LE TARNEC, attachée de conservation au Musée Nissim de Camondo

La conception de l’hôtel

Le plan en « L »

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Cat. 1 : Plan du rez-de-chaussée haut par René Sergent
Paris, musée Nissim de Camondo
Inv. CAM 1156.11
© MAD, Paris

C’est durant l’été 1910 que René Sergent dessine le plan de cet hôtel classique entre cour et jardin, librement inspiré du Petit Trianon (ou Pavillon carré), construit entre 1763 et 1768 par Ange-Jacques Gabriel dans le parc du château de Versailles. De l’ancien hôtel Violet, l’architecte ne conserve que les caves – notamment celle dite « aux vins fins » située sous l’ancienne demi-rotonde construite par le comte Nissim en 1874 –, et les communs qu’il réaménage (cat.1). D’un côté, les écuries abritent les chevaux de selle pour les traditionnelles promenades au Bois, de l’autre, l’ancienne remise aux voitures attelées est affectée aux automobiles avec un atelier de mécanique et des appartements pour les chauffeurs mécaniciens. Enfin, dans la cour d’honneur, la serre jouxtant le corps de logis principal est démolie.

Moïse de Camondo, secondé par Léonce Tédeschi – homme de confiance de la famille depuis de nombreuses années et irremplaçable secrétaire –, suit le projet minutieusement comme l’atteste la correspondance entre les deux hommes. Ainsi, le 19 juillet 1910, Tédeschi écrit au comte parti en villégiature : « Je suis allé ce matin à mon rendez-vous et j’ai eu avec M. Sergent une conférence de plus d’une heure. Il m’a fait voir 1° quel est le résultat de son étude ; 2° ce qui lui manque et que je dois lui reconstituer ; 3° la superficie, revérifiée, qui est, en totalité de 3465 m2 comporte en construction actuelle : 435 m2 Hôtel 626 m2 Communs = 1061 m2. Sur les 3465 m2 la partie non édifiable est de 995 m2 ce qui réduit à 2470 m2 la partie que l’on peut construire. Tout ceci sous réserve de l’acte que j’ai à retrouver.1 »

À peine deux mois plus tard, Tédeschi, satisfait, annonce à Moïse de Camondo : « J’ai pu aujourd’hui, trouver un moment pour faire un saut jusque chez M. Sergent. Il est arrivé, semble-t-il à faire, de ses plans, quelque chose de parfait et il attend votre retour pour vous les soumettre. Il a modifié les dimensions indiquées par vous : arrangé les ½ lunes des deux côtés de la façade sur la cour et a trouvé une disposition plus heureuse du petit salon des Huet qui au lieu d’avoir la forme hexagonale a la forme ovale, bien nette, ce qui donne à l’ensemble l’apparence d’une disposition plus architecturale et plus esthétique. Dans 2 ou 3 jours, ces plans seront achevés et d’ici une huitaine, il m’en enverra deux ou trois bleus.2 »

Cat.2. : Elévation de la façade sur jardin par René Sergent. 1911
Diazotype sur papier vélin Paris, musée Nissim de Camondo. Inv. CAM 1156.6
© DR

Fin septembre 1910, René Sergent propose à son client les premiers projets3 qui seront suivis, début 1911, d’une série d’élévations et de plans définitifs très soignés et détaillés (cat. 2).

La forme allongée et étroite du terrain conduit l’architecte à dessiner un plan en forme de « L ». Il privilégie deux façades : l’une sur la cour qui bénéficie du soleil et l’autre largement ouverte sur le parc Monceau, suivant le souhait de Moïse de Camondo. Les deux façades latérales sont quant à elles peu visibles ou du moins difficilement accessibles à l’œil.

Les élévations des façades sur cour et sur jardin

Fig. 3 : Élévation de la façade sur la cour d’honneur, par René Sergent
© MAD, Paris

L’ordonnancement de la façade sur la cour d’honneur fait directement référence à son illustre modèle (fig. 3) : élévation à trois niveaux avec rez-de-chaussée traité en bossage, étage noble et attique. Un entablement surmonté d’une balustrade couronne l’édifice. Les trois travées centrales sont soulignées par des pilastres d’ordre corinthien. Les autres éléments décoratifs comme les encadrements des baies, les balustres et les entrelacs, sont les mêmes qu’à Trianon, ce qui accroît l’effet de ressemblance. Mais le corps central du bâtiment est resserré entre deux avancées reliées par une travée en quart de cercle pour épouser l’arrondi de la cour. La composition est ainsi construite sur sept travées, et non cinq, comme au Petit Trianon.

Côté jardin, René Sergent s’éloigne de son modèle en ouvrant le plan en deux ailes perpendiculaires de part et d’autre d’une rotonde centrale, animée d’une frise d’enfants en bas-relief4. Ainsi, neuf travées offrent une vue sur le parc Monceau. L’élévation de cette façade est néanmoins proche de celle du Petit Trianon et rehaussée des mêmes ornements : colonnes à chapiteaux corinthiens, entrelacs et oculi du perron, balustrade et traitement décoratif des encadrements de fenêtres et linteaux.

Quelques différences de réalisation apparaissent cependant par rapport à ces projets. On note, par exemple, plus de balustres que prévu.

Fig. 4 : L’escalier de service dessert tous les niveaux et est équipé d’un ascenseur
© MAD, Paris

Sans aucun décor, simplement « ravalée » en sable mortier coloré5, la façade située du côté est donne sur une voie en impasse ouvrant sous le porche du numéro 105, boulevard Malesherbes. Niveaux et ouvertures reflètent l’organisation des espaces de service logés derrière celle-ci qui sont desservis par un escalier et un ascenseur (fig. 4). Domestiques et fournisseurs pénètrent ainsi dans la demeure par cet accès secondaire.

L’organisation horizontale et verticale de l’hôtel permet des parcours parallèles afin que les « gens de maison » travaillent et vivent dans des espaces séparés de ceux des maîtres : cuisine et ses annexes, dans le soubassement ; offices, dans les étages ; penderies du comte et de son fils ainsi que lingerie et chambres du personnel, sous les combles.

Les plans par niveau

Comme au Petit Trianon, René Sergent a créé une différence de niveau entre la façade sur cour et celle sur jardin, ce qui lui a permis d’affecter la majeure partie du rez-de-chaussée bas, semi-enterré du côté du parc Monceau, aux espaces de service : cuisine, laverie, salle des gens, frigorifique, garde-manger, fruitier, offices du chef et du maître d’hôtel.

Le maître de maison accueille les visiteurs dans le vestibule qui donne de plain-pied sur la cour d’honneur. Sous la volée de l’escalier monumental, une deuxième entrée qui communique par une grille en fer forgé avec la descente à couvert d’automobiles est empruntée par les invités en cas d’intempéries. Construit en pierre de taille, le grand escalier s’inspire des plus illustres modèles du XVIIIe siècle, mais ses proportions et son volume le rattachent à l’architecture des hôtels particuliers de la Belle Époque. Il dessert l’ensemble du rez-de-chaussée haut qui est affecté aux pièces de réception. D’échelle plus réduite, un escalier particulier à deux révolutions conduit vers le premier étage, réservé aux appartements privés.

On remarque sur tous ces plans que les axes de symétrie des pièces principales sont systématiquement indiqués ainsi que l’emplacement des bouches de chaleur et la nature des sols. Chaque pièce est, en outre, nommément désignée. L’usage ou la décoration ont parfois entraîné des modifications : la salle de bal (avec tribune des musiciens dans l’alcôve) sur le plan du rez-de-chaussée haut de septembre 1910 devient le fumoir puis prend la dénomination de grand bureau ; le salon anglais a d’abord été mentionné comme salon Directoire en référence à sa décoration, avant de s’appeler petit bureau ; enfin, le terme galerie est finalement adopté pour l’espace polygonal dénommé hall.

Sur le plan du 1er étage, on peut observer la configuration originale de l’appartement de Béatrice de Camondo dont le boudoir et la chambre sont réunis après son départ de l’hôtel en 1924. Moïse de Camondo fait aménager en 1929 ce vaste espace en salon-bureau : le salon bleu6.

Les autres différences sensibles entre ces plans et leur réalisation concrète concernent la forme de certaines pièces ou la simplification de quelques détails. René Sergent avait notamment prévu des fenêtres sur le côté est du cabinet des porcelaines qui sont finalement fermées, mais présentent un décor factice de l’extérieur.

1Lettre de Léonce Tédeschi du 19 juillet 1910. Archives du Musée Nissim de Camondo AMNC. LC47, p. 361.

2Lettre de Léonce Tédeschi du 16 septembre 1910. AMNC. LC47, p. 374.

3Daté du 22 septembre 1910, le plan du rez-de-chaussée haut nous est parvenu (CAM 1156.11) : le tracé de l’ancien hôtel y est indiqué en rouge. Il s’agit d’un « bleu », c’est-à-dire d’une reproduction du plan original par diazographie, une méthode de tirage utilisant la lumière pour reproduire l’original transparent sur du papier-contact photosensible chimiquement traité pour donner un dessin blanc sur fond bleu. D’où le nom de « bleu » porté par ce type de tirage. Il n’y a aucun changement d’échelle. Ce procédé de reproduction a été utilisé durant tout le XXe siècle pour réaliser des copies de plans d’architecture ou de dessins industriels.

4Ce bas-relief a été exécuté sur place par Jules Visseaux (Carignan, 1854-Paris, 1934), sculpteur originaire des Ardennes et primé à Paris en 1889. AMNC. LM63.15.33.

5Marché à forfait, Michau et Douane, 6 mai 1911. AMNC. LM63.3.3.

6Le salon bleu doit son nom à ses lambris peints à l’origine en bleu-canard (qui a verdi avec le temps).

La construction et l’aménagement intérieur de l’hôtel

Le gros œuvre

Le chantier démarre dès l’acceptation des plans de René Sergent. Le 25 novembre 1910, le marché de démolition de l’hôtel Violet est signé avec M. Antoine Loubeyre qui achète les matériaux récupérables1.

Jusqu’à l’installation du comte de Camondo, les appels d’offre se succèdent et font l’objet de nombreuses tractations. Ainsi, alors qu’il visite l’Écosse en août 1911, Tédeschi, chargé des négociations avec les entreprises, lui annonce : « Voici le jaune d’un mot que j’adresse à M. Sergent pour lui remettre le document que “je crois” être, enfin, le “Permis de reconstruire”. Il me dira si c’est bien cela. […] j’ai terminé ce matin avec la maison Deschamps pour la couverture à 15 000, au lieu des 16 000 demandés. J’en informe M. Sergent pour qu’il prépare le nécessaire2. »

Après le terrassement, le permis de construire obtenu le 1er juin 19113 marque le début des travaux de gros œuvre. Dès lors, le chantier est minutieusement suivi par Moïse de Camondo qui se rend sur place très fréquemment. Il convoque, exige, rectifie et veille au moindre détail. Telle son ombre portée, Tédeschi note et rapporte tout avec précision et se fait l’écho des décisions prises.

Le renforcement des murs de la cave à vin conservée du côté de la façade ouest est effectué par l’entreprise Plaudet4. Pour ce faire, on utilise le béton armé à la technique maîtrisée depuis peu. Il sert aussi en partie à la construction proprement dite dont le marché, le plus élevé de tous, est remporté par l’entreprise de Travaux publics et particuliers Michau et Douane. Fondations, élévations et ravalements des façades, niveaux, cheminées, escaliers, voûtes et corniches, mais aussi conduits des filtres et maçonnerie des batteries, lui sont confiés. Malheureusement, les devis détaillés ne nous sont pas parvenus, seuls quatre « marchés à forfait » fournissent quelques précisions. On apprend ainsi que les murs et les voûtes des vestibules, des galeries et de l’escalier d’honneur sont réalisés en pierre de Tercé extraite d’une carrière située dans la Vienne.

Mais les travaux n’avancent pas assez vite. Moïse de Camondo s’en plaint et reçoit de la part de Michau et Douane l’assurance « qu’ils doubleront les équipes de manière à imprimer le maximum d’activité à [sa] construction pour rattraper, dans la mesure du possible, le temps perdu5 ». Les maçons hissent le drapeau final du chantier fin septembre 19126.

Concomitamment, sont réalisés les travaux de canalisation en ciment et ceux de tout-à-l’égout7.

Les charpentes en bois des combles et les faux planchers8 sont achevés en février 1912. L’entreprise Ravier frères qui exécute ces travaux est également chargée de construire les escaliers provisoires pour accéder aux différents niveaux. Elle réalise aussi les escaliers de service et est présente sur le chantier jusqu’en mars 1913 pour effectuer des modifications, et, au besoin, des maquettes de préfiguration9.

Sont ensuite posées la couverture en zinc10 de l’hôtel pendant l’été et l’automne11 ainsi que les huisseries extérieures et les bâtis des ouvertures intérieures12.

On peut donc penser que le gros œuvre est achevé à la fin de l’année 1912. Le temps presse en effet. Moïse de Camondo écrit à René Sergent : « Veuillez bien, par un ordre de service auquel je vous prie de tenir la main, en informer tous vos entrepreneurs afin que les travaux soient poussés très activement. Il faut absolument, en effet, qu’à la date du 1er juillet 1913 mon nouvel hôtel soit complètement achevé pour que je puisse y emménager13. »

L’installation du confort

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Fig. 5 : Stérilisateur à eau commercialisé par la société Lacarrière, installé dans la cuisine et les offices
© MAD, Paris

Le comte désire que son hôtel bénéficie de toutes les installations nécessaires au bon fonctionnement du service domestique et au confort quotidien : éclairage électrique, chauffage central, eau courante et stérilisée (fig. 5), ascenseurs, système de nettoyage par le vide, cuisine fonctionnelle et salles de bains hygiéniques. C’est vraiment dans ce domaine que transparaît son goût de la modernité.

Ayant auparavant aménagé de luxueux hôtels de voyageurs, René Sergent est au fait des dernières innovations en matière d’hygiène et de confort et possède donc les meilleures compétences.

Hormis le charbon utilisé pour le chauffage et la cuisson des aliments, toutes les autres sources d’énergie sont distribuées par réseaux : l’eau, le gaz et le téléphone, par la Ville de Paris ou par l’État ; l’électricité pour l’éclairage, et l’air comprimé pour les ascenseurs, par des compagnies privées. Sur place, l’énergie nécessaire aux services des sonneries et du téléphone provient de piles Leclanché montées en batterie dans des placards du sous-sol.

La circulation de ces fluides par câbles, tuyaux et gaines assure le confort de façon discrète. C’est le cas du chauffage : un réseau de gaines maçonnées dans l’épaisseur des murs permet de distribuer au sol, par 35 bouches de soufflage à grille réglable, l’air chaud filtré et pulsé du calorifère. Des radiateurs installés dans les espaces de service complètent ce dispositif. Ce système de chauffage à vapeur à basse pression et la distribution de l’eau chaude font l’objet d’un devis descriptif extrêmement détaillé14. Commencée dès l’été 1912, l’installation était censée être opérationnelle pour l’hiver suivant, ce qui ne semble pas être le cas. Moïse de Camondo s’en indigne auprès de René Sergent : « Mr Tédeschi a vu Mr Godeberge qui prétend que tout marche normalement, alors que je constate que L’ON NE CHAUFFE PAS. Depuis six semaines, suivant les promesses de Mr Godeberge, mon immeuble devait être chauffé par le calorifère. […] J’EXIGE que la maison soit chauffée15. »

Fig. 6 : L’ascenseur privé dessert le rez-de-chaussée haut et le 1er étage
© Photo Régine Soulier

D’après la correspondance conservée, il semble que les déconvenues soient nombreuses : malfaçons, retards, matériel défectueux… Un expert est nommé pour surveiller les réparations. Effectivement, elles semblent nécessaires d’après ce télégramme adressé par Tédeschi au comte en janvier 1914 : « Ai regret de vous annoncer qu’un élément de la grosse chaudière rue Monceau a aussi éclaté. Hôtel reste donc sans chauffage et sans eau chaude16. »

Autre source de mécontentement pour Moïse de Camondo, le fonctionnement de son ascenseur (fig. 6). Sont installés fin 1912 deux ascenseurs aéro-hydrauliques à piston plongeur17, l’un pour les domestiques et l’autre pour « les maîtres ». Pour celui-ci, une cabine en acajou moucheté et sculpté est réalisée d’après une maquette18. Peu après son emménagement, le comte, mécontent, s’adresse à René Sergent : « Je continue à vous signaler le mauvais état de fonctionnement de l’ascenseur. Ses divers organes, ainsi que les portes, fonctionnent très irrégulièrement. […] Comme je vous ai déjà prévenu, je vous prie de ne pas ordonner la fin des paiements à la maison Vernes, Guinet, Sigros & Cie avant que j’ai (sic) obtenu satisfaction19. »

Cat. 3 : Tableau électrique de la maison Mildé
Documentation du musée Nissim de Camondo
© MAD, Paris

Pour l’éclairage, l’installation des cuisines et salles de bains, des entreprises très performantes, dirigées par des ingénieurs centraliens, sont chargées des travaux20 : Mildé installe l’électricité ainsi que les services des sonneries et du téléphone (cat. 3) ; Cubain exécute les travaux de fumisterie et livre fourneaux, rôtisserie, chauffe-plats, bacs de plonge et de lavage dans la cuisine et ses dépendances21 (fig. 7) ; enfin, Kula met en place la plomberie et l’équipement sanitaire (fig. 8).

Fig. 7 : Le fourneau en fonte dit « de milieu » de la cuisine, livré par la maison Cubain en 1912
© MAD, Paris / photo : J.-M. del Moral

En mars 1913, alors que Moïse de Camondo est en croisière en Méditerranée, Tédeschi tente de coordonner les différents corps de métiers et raconte ses visites quotidiennes : « Je reviens de la rue de Monceau où j’avais convoqué Godeberge et Kula pour les mettre d’accord et coordonner leur travail respectif (étage des domestiques) où il faut que les travaux d’alimentation d’eau chaude soient terminés pour les essais, lesquels essais doivent être faits avant qu’Ebel puisse commencer le carrelage de votre salle de bains. Ce sont, en effet, ces essais qui diront si la tuyauterie Kula n’a pas à être révisée et dans le cas de révision, il est nécessaire évidemment qu’elle soit faite avant qu’Ebel entreprenne son travail. Bref, tout est d’accord maintenant, et ces essais se feront mercredi prochain. Dès lors, comme ledit étage des domestiques sera déblayé, les peintres pourront en prendre possession22 . »

Fig. 8 : Salle de bains de Nissim de Camondo
© MAD, Paris
Fig. 9 : Le carrelage de la salle de bains de Moïse de Camondo
© MAD, Paris

Dans ces espaces modernes et fonctionnels, peinture Ripolin ou carrelages et revêtements céramiques23 (fig. 9) recouvrent les sols, les murs, voire le plafond dans la cuisine. Pour les sols dans les étages dévolus au service, on utilise aussi un nouveau matériau sain et hygiénique : le porphyrolithe24. Sans doute grâce à ses énergiques exhortations, Tédeschi est soulagé d’annoncer à Moïse de Camondo, bientôt de retour : « J’ai la satisfaction de pouvoir vous dire, aujourd’hui, que sauf quelques finitions et une dernière couche de peinture à l’étage des domestiques, les travaux, depuis votre départ, ont marché comme je le voulais et étant tous les jours sur le dos des ouvriers je suis arrivé, heureusement, à un résultat dont je n’ai pas trop à me plaindre. Le reste marche aussi d’une façon assez satisfaisante25. »

Le second œuvre et le décor intérieur

Durant l’année 1912, les appels d’offres concernant le second œuvre sont lancés et les devis sont âprement discutés, voire refusés pour certains. Le sculpteur Jules Visseaux est retenu pour façonner sur place le bas-relief qui orne la rotonde26, tandis que la sculpture extérieure des fenêtres et de la voûte du porche est confiée à l’entreprise Housset et Guillemain (associée à la maison Cruchet) dont le devis est tout d’abord jugé « exhorbitant27 » (sic). Cette entreprise avait réalisé l’année précédente la maquette du grand escalier28.

À l’intérieur de l’hôtel, l’activité est intense dès le début de l’année 1913. Après la pose des parquets29 et dallages de pierre et de marbre30, la décoration des espaces intérieurs commence véritablement. Pour la créer ou la compléter, René Sergent s’adjoint la collaboration des meilleurs artisans d’art : sculpteurs sur pierre et sur bois, ébénistes, menuisiers, tapissiers, ferronniers, doreurs, peintres décorateurs, marbriers… C’est surtout dans ce domaine que s’exprime le sens aigu du détail chez Moïse de Camondo. Il exige en effet la perfection, comme en témoigne cette demande : « Cher Monsieur Sergent, (à la ligne) Faisant suite à notre conversation de ce matin, je vous prie de vouloir bien aller chez M. Fabre, antiquaire rue de Rennes, voir deux lanternes. Vous seriez bien aimable d’en faire prendre les mesures et de faire deux petites maquettes desdites lanternes pour les accrocher dans notre maquette de l’escalier31. »

Fig. 10 : La galerie du rez-de-chaussée bas : la fontaine en marbre rouge royal
La fontaine (inv. CAM 30) est appliquée contre un panneau de glaces argentées, agencées en damier
© MAD, Paris / photo : J.-M. del Moral

La maison Chamouillet se voit confier les travaux de miroiterie. Ses ouvriers déposent des glaces dans l’appartement d’Isaac de Camondo, avenue des Champs-Élysées32, et dans l’hôtel alors habité par le comte, rue Hamelin. Chacune est taillée et posée suivant un emplacement précis33 (fig. 10).

Plusieurs cheminées proviennent aussi de l’hôtel rue Hamelin, celles du grand salon, du salon des Huet, du petit bureau et de la chambre de Moïse de Camondo. Chargée de leur dépose et repose, l’entreprise Gilis34² fournit celles de l’appartement de Nissim ainsi que le dressoir en marbre Campan mélangé de la salle à manger qui est réalisé sur mesure. Elle fixe également des consoles en marbre blanc et la fontaine en marbre jaune de Sienne, après les avoir déposées rue Hamelin35.

Durant l’année 1911, Moïse de Camondo recherche et acquiert de nombreux lambris anciens pour le décor des pièces principales de son hôtel. Ceux-ci en déterminent la hauteur et parfois la forme bien qu’ils ne soient pas remontés comme à l’origine.

Fig. 11 : Le grand salon
Musée Nissim de Camondo, 2013
© MAD, Paris

Chez Lemoine et Leclerc, tapissier-décorateur, le comte achète la boiserie du grand salon36 (fig. 11). Provenant du salon de compagnie du comte de Menou situé 11, rue Royale, et simplement peinte en blanc à l’origine, elle est dorée et l’une des portes, placée dans le grand bureau, est décapée37. Les lambris destinés à la salle à manger et les deux niches garnies de glaces de la galerie sont acquis chez l’antiquaire Armand Sigwalt38. Il trouve chez Édouard Larcade la cheminée et la boiserie de la bibliothèque dont les panneaux déterminent la hauteur de cet étage d’attique ainsi que les lambris de l’alcôve de sa chambre39.

Lorsque certains éléments anciens sont introuvables sur le marché, Moïse de Camondo, qui en a une vision extrêmement précise, les fait copier d’après des modèles historiques. Il fait ainsi appel à la maison Bricard, fabricant de serrures et quincaillerie de luxe, pour dupliquer ou compléter crémones et mécanismes de fermeture, parfois sur un « modèle spécialement créé et sculpté pour Mr de Camondo, suivant la décoration de son espagnolette ancienne, dorée au mercure40 ».

Fig. 12 : Le grand escalier
© MAD, Paris / photo : J.-M. del Moral

Il commande aussi à la maison Baguès la reproduction d’une rampe pour l’escalier d’honneur41 (fig. 12). Déçu de la dorure, le comte alerte René Sergent : « Bourdier (le doreur) prétend que l’on n’arrivera jamais à un résultat convenable avec l’or qui a été employé ; il faudrait de l’OR CITRON et un patinage par un homme absolument du métier. Il me semble, dans ces conditions, qu’après avoir manifesté tout mon mécontentement à la maison Baguès, vous pourriez la persuader de s’adresser à Bourdier pour ce travail, bien entendu à ses frais, car elle me doit un travail bien fait et qui nous donne, à vous et à moi, toute satisfaction42. »

Cette exigence et ce sens du détail apparaissent plusieurs fois à la lecture de la correspondance ou des mémoires de travaux. On découvre, par exemple, que l’entreprise A. Felz chargée de la peinture décorative peine à donner satisfaction quant à la réalisation du décor du petit bureau : elle devra recommencer trois fois et réclame le règlement du temps passé et des marchandises employées… L’architecte tranche par une note à l’encre rouge : « Il est d’avis43 de ne payer ce travail qu’une fois en supplément au lieu de trois fois44. »

Enfin, entre en jeu la maison Decour. Fondée en 1834, l’ancienne maison Simon a été reprise par la famille Decour père, puis fils. Installée 41, rue Joubert, et à partir du 1er juin 1914 26bis, rue François-1er, Decour a travaillé pour plusieurs résidences Rothschild, notamment à Waddesdon Manor, puis sa réputation a traversé l’Atlantique. Henry Clay Frick a fait appel à elle à New York45. Moïse de Camondo la connaît et l’a déjà employée, notamment pour décorer sa maison de campagne, la villa Béatrice, à Aumont dans l’Oise.

Dès lors, la maison Decour cumule les fonctions. Outre son rôle de décorateur et tapissier, elle fournit également au comte plusieurs éléments de boiseries anciennes46 et parfois du mobilier, des textiles anciens ou des objets d’art. Elle lui sert aussi de temps en temps d’intermédiaire pour revendre. Dans son entrepôt rue Balagny, Decour garde les glaces, boiseries47, rideaux, tapis et thibaudes démontés par ses soins dans l’appartement d’Isaac de Camondo, puis les œuvres déposées rue Hamelin et les boiseries achetées depuis 1911 par Moïse de Camondo.

Fig. 13 : Élévation au bleu des boiseries du passage vers le salon des Huet
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

Ses devis sont conservés dans les archives du musée. L’architecte les reçoit de son côté, accompagnés de dessins de détails48. Pour juger de l’effet produit, des présentations de ces dessins et projets sur une charpente sont prévus au garde-meuble et sur place, rue de Monceau49. Très attentif, le comte suit le déroulement des travaux au jour le jour, fait apporter des modifications, relit les mémoires de travaux à la loupe et remplit des pages d’observations. Par exemple, à propos du remplacement d’un lambris, il note et tranche : « Erreur de Decour, j’avais signalé ce changement dès le lendemain du devis ; il l’a oublié, tant pis pour lui ». Et, bien sûr, Tédeschi surveille lui aussi : « Decour après lequel il faut constamment se gendarmer50. »

Par un « État de situation des travaux » du 9 mai 1913, on apprend que Decour et ses ouvriers sont sur place depuis le mois de janvier et ont commencé par la pose des bâtis destinés à fixer les boiseries anciennes, puis ceux qui soutiennent les ornements des corniches (fig. 13). Les lambris anciens sont remis en état, souvent retaillés, toujours complétés et parfois décapés. Moulures d’oves, modillons, rais de cœur et rosaces sont fournis, posés, adaptés, plinthes et baguettes d’encadrement sont ajustées.

Fig. 14 : Les vitrines du cabinet des porcelaines garnies de moire rose
© MAD, Paris / photo : J.-M. del Moral
Fig. 15 : Placard de la chambre forte de l’argenterie
Les caissons et tiroirs sont gainés de drap rouge
© MAD, Paris

À l’occasion de la réparation de certaines tapisseries, Moïse de Camondo prévient le restaurateur : « Veuillez noter que mon tapissier, Mr Decour, a fait tous les cadres de ces tapisseries sur leurs mesures anciennes et il me prie d’appeler sur ce point, votre attention pour que, après le nettoyage, les dimensions de chacune d’elles soient absolument pareilles à ce qu’elles étaient avant51. »

Tandis qu’on s’affaire rue de Monceau, dans les ateliers de la maison Decour on découd, retaille et confectionne drapés, tentures, stores et rideaux pour chaque croisée, après avoir démonté et nettoyé ceux de la rue Hamelin. On regarnit des sièges, fournit ou restaure sommiers et matelas. Sur place, les tentures sont fixées, les tiges des lustres habillées et les armoires et vitrines garnies (fig. 14 et 15). En dépit de tous les aléas, la fin des travaux est maintenue pour le 15 août 191352.

1Il est précisé qu’il doit commencer par l’enlèvement du kiosque du jardin. Sont conservées les glaces du jardin d’hiver, des armoires en chêne, le coffre-fort, l’escalier en chêne allant du 1er au 2e étage. Il est également stipulé dans le contrat que « les monnaies d’or ou d’argent et tous autres objets pouvant constituer un trésor » resteront la propriété de Moïse de Camondo. AMNC. LM63.3.

2Lettre de Léonce Tédeschi du 9 août 1911. AMNC. LC47, p. 381.

3Lettre de Léonce Tédeschi du 1er juin 1911. AMNC. LC47, p. 160.

4Marché à forfait et mémoires de travaux Plaudet. AMNC. LM63.3.

5Correspondance, 22 avril 1912. AMNC. LC35, p. 33.

6Correspondance, 1912. AMNC. LC35, p. 120.

7Entreprise Millot, marchés à forfait. AMNC. LM63.3.8.

8Un « faux plancher » est un sol posé au-dessus du sol principal dans un but d’améliorations esthétiques, thermiques, acoustiques, ou pour faire passer des câbles, tuyaux ou gaines.

9« Pour figuration de la nouvelle disposition de l’escalier, établissement et mise en place d’une maquette en bois et carton… » AMNC. LM63.6.10.

10Entreprise P. Seurat et Deschamps. AMNC. LM63.7.13.

11Au printemps, pour les communs.

12Entreprise Raoul Lassagne fils. Cette entreprise réalise également les travaux de menuiserie intérieure tels que les portes, plinthes, le mobilier des espaces de service, etc.

13Correspondance 6 novembre 1912. AMNC. LC35, p. 148. Finalement, il quitte la rue Hamelin le 15 juillet 1913. AMNC. LC35, p. 221.

14Marie-Noël de Gary et Gilles Plum, Les Cuisines de l’hôtel Camondo, Paris, Union centrale des Arts décoratifs, 1999.

15Lettre de Léonce Tédeschi du 20 mars 1913. AMNC. LC47.

16Lettre de Léonce Tédeschi du 13 janvier 1914. AMNC. LC36, p. 9.

17Vernes Guiret Sigros, mémoire de travaux. AMNC. LM63.3.5.

18La cabine est réalisée par la maison Housset et Guillemin. AMNC. LM63.6.9.

19Correspondance du 27 avril 1914. AMNC. LC36, p. 85. Et par un courrier du 27 juillet 1915, Moïse de Camondo écrit : « De retour d’un petit déplacement j’ai trouvé, à nouveau, mon ascenseur ne fonctionnant pas. »

20Marie-Noël de Gary, « L’hôtel de Moïse de Camondo. Les centraliens et le confort moderne : Cubain, Kula, Mildé », Le Paris des centraliens, bâtisseurs et entrepreneurs, Action artistique de la Ville de Paris, 2004, p. 212-215.

21Marie-Noël de Gary et Gilles Plum, Les Cuisines de l’hôtel Camondo, Paris, Union centrale des Arts décoratifs, 1999.

22Lettre de Léonce Tédeschi du 20 mars 1913. AMNC. LC47.

23Les travaux sont réalisés par l’entreprise A. Ebel. AMNC. LM63.9.17.

24Ciment composé de magnésie, spath, farine de bois et couleurs minérales, mélangés à une solution de chlorure de magnésium. Parmi ses avantages, il est résistant à l’usure et léger, incombustible et absorbant acoustique (Le Béton armé, n° 73, juin 1904, p. 193). Posé par l’entreprise P. Blanc & Cie au printemps 1913. AMNC. LM63.15.29.

25Correspondance, 31 mars 1913. AMNC. LC47.

26Marché à forfait exécuté pendant l’année 1913. AMNC. LM63.15.33.

27Correspondance, 27 septembre 1912. AMNC. LC35, p. 120.

28Forfait n° 338, lettre d’acceptation du 7 avril 1911. AMNC. LM63.6.9.

29Entreprise Lucien Fender. AMNC. LM63.13.27.

30Entreprise Festoc. AMNC. LM63.13.28.

31Correspondance, 19 juillet 1911. AMNC. LC34, p.219.

32Isaac est décédé le 7 avril 1911. L’ensemble de ses collections est légué au musée du Louvre, mais Moïse de Camondo récupère certains éléments modernes qui ornaient l’appartement de son cousin tels que les glaces, certaines boiseries ainsi que des tapis et moquettes.

33V. Mantelet successeur de L. Chamouillet. Mémoire des travaux. AMNC. LM63.15.35

34Ch. Gilis. Mémoire de travaux. AMNC. LM63.15.34

35Respectivement inv. CAM 119, 187, 337, 635, 749 et 1088 (cheminées) ; inv. CAM 236, 459, 723 et 260 (consoles).

36Facture du 30 septembre 1911. AMNC. MC1.

37Bruno Pons, Grands Décors français 1650-1800, reconstitués en Angleterre, aux États-Unis, en Amérique du Sud et en France, Dijon, Éditions Faton, 1995, p. 388.

38Facture du 14 janvier 1911. AMNC. MC1.

39Facture du 30 décembre 1911. AMNC. MC1.

40D’après la facture du 30 juin 1914, p. 6. AMNC. LM63.13.24.

41D’après celle du serrurier Joseph Bosc créée vers 1780 pour l’hôtel Dassier à Toulouse. Baguès exécuta également la rampe de l’escalier particulier, les lanternes, torchères et potences extérieures, les balcons de la façade latérale du côté du 61, rue de Monceau. AMNC. LM63.15.32.

42Correspondance, 28 octobre 1913. AMNC. LC35, p. 445.

43Expression que l’on peut comprendre comme « il est entendu »

44Mémoires des travaux. AMNC. LM63.15.40.

45Bertrand Rondot, « Bâtir une collection », Marie-Noël de Gary (dir.), Musée Nissim de Camondo, op. cit., p. 300, note 60.

46Factures du 6 novembre et du 13 décembre 1912. AMNC. LM63.9.19.

47Il s’agit des boiseries en acajou-gû qui ornaient la galerie d’Extrême-Orient et sont réutilisées dans les trois habillages du nouvel hôtel.

48Voir lettre de René Sergent à Moïse de Camondo du 21 novembre 1912. AMNC. LM63.2.

49C’est le cas pour le salon des Huet, devis du 22 octobre 1912. AMNC. LM63.9.19.

50Correspondance, 31 mars 1913. AMNC. LC47.

51Correspondance, 25 mai 1913. AMNC. LC35, p. 321.

52Ce qui n’a pas été le cas. Ainsi, les sept panneaux de J.-B. Huet ne sont posés définitivement que fin octobre 1913. Correspondance, 23 octobre 1913. AMNC. LC35, p. 434.

Le jardin et les communs

Le jardin

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Cat. 4 : Projet d’Achille Duchêne pour le jardin
Dessin au crayon, s.d.
Paris, musée des Arts décoratifs, fonds Duchêne
Inv. CD 3027.39
© MAD, Paris

Pour la création de son jardin, Moïse de Camondo s’adresse à Achille Duchêne, architecte paysagiste attitré de la haute société depuis la fin du XIXe siècle. D’après les livres de correspondance, plusieurs rendez-vous ont lieu à partir d’avril 1912. Duchêne remet plans et devis en juin.

Conservé au Musée des Arts Décoratifs, un projet dessiné au crayon noir compte sans doute parmi ses premières propositions1 (cat. 4]. Les principes de base sont déjà adoptés : jardin à la française près de l’hôtel et jardin à l’anglaise en bordure du parc Monceau.

Fig. 16 : Le treillage surélevé en 1929, restauré en 2003
© MAD, Paris

Duchêne sous-traite la réfection du jardin avec M. Collin, entrepreneur paysagiste. Il propose aussi plusieurs croquis pour un « treillage artistique » qui est exécuté par le décorateur E. Bocquet au printemps 19132 (fig. 16). Les travaux de « terrassement pour la transformation du jardin » commencent dès l’automne 19123. Des canalisations pour l’arrosage sont posées par Kula4.

L’exigence de Moïse de Camondo dans le suivi des travaux transparaît là encore. Il s’en explique auprès des collaborateurs de Duchêne, car Mr Collin en a pris ombrage : « […] je viens vous dire que Mr Collin a mal interprété ce que je lui ai dit hier. Je lui ai, simplement, manifesté mon étonnement de n’avoir pas vu une seule fois, (aux rendez-vous habituels) Monsieur Duchêne surveiller les travaux de son entrepreneur, ce qui nous eut permis d’échanger nos impressions sur le résultat qui, pour ma part, ne m’enthousiasme pas du tout. Nous avons donc, Monsieur Sergent et moi, demandé à Mr Collin de prévenir Monsieur Duchêne que nous désirions le voir au plus prochain rendez-vous sur place5 . »

Au cours du printemps 1913, un nouveau devis est accepté pour « l’établissement de deux parterres de couleurs sur la terrasse, plantation de buis au pied du mur de la terrasse et fourniture complémentaire d’arbres6 ». Les buis sont plantés dès le mois de juin, mais les arbres attendront. Tédeschi en avertit Duchêne : « J’ai vu Monsieur Collin qui se proposait de planter de suite les douze troènes. Le Comte, à qui j’en ai parlé, est tout à fait d’avis, la saison étant très avancée, de ne le faire qu’à l’automne prochain, ce dont j’avise Mr Collin7. »

Comme l’attestent les factures du jardinier, une tondeuse à gazon est achetée et les parterres sont dès lors abondamment fleuris.

Les communs

Fig. 17 : La remise aux automobiles
© MAD, Paris / photo : Luc Boegly

Homme moderne et amateur « d’automobilisme », Moïse de Camondo a prévu d’affecter l’aile gauche des communs à l’emplacement et l’entretien de ses voitures. Lors de son installation, un landaulet, une limousine Renault, un coupé, un double phaéton et une limousine Panhard prennent place dans la remise aux automobiles qui leur est réservée8 (fig. 17).

Fig. 18 : Le revêtement mural des écuries (détail)
© MAD, Paris

Mais les chevaux font encore partie de la vie quotidienne et sont omniprésents dans le paysage parisien, du moins jusqu’en 1914. L’aile droite des communs abrite donc une salle de pansage et une écurie accueillant neuf chevaux d’attelage et de selle, aménagée par les établissements Mouton H. Oranger. Les boxes sont délimités par des poteaux en fonte, les cloisons et les portes se composent d’un lambris en chêne surmonté de barreaux en fer forgé. Des lambris similaires recouvrent tous les murs, du sol jusqu’aux mangeoires. Au-dessus, le revêtement mural est en carreaux blancs de faïence de Longwy ornés de deux frises bleues (fig. 18). Le plafond est en voûtes de briques. Les palefreniers Arthur et Robert prennent soin des chevaux dénommés Gisbon, Jumbo, Destrie, Sultan, Nigro, Pataud et Togo qui semblent suivre leurs cavaliers dans leurs déplacements et villégiatures9. Des plaques de fonte émaillées aux noms des chevaux, du modèle dit « jarretière » en deux tons de bleus et rehaussé d’or, sont placées au-dessus des râteliers.

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Cat. 5 : Plaque d’écurie en fonte émaillée, au nom du cheval Gisbon
Documentation du musée Nissim de Camondo
© MAD, Paris

Celle de Gisbon (cat. 5) nous est parvenue dans son intégrité, dernier témoin de ce lieu en grande partie détruit10.

Enfin, dans l’aile gauche des communs, à côté de la remise aux automobiles, se trouve une sellerie aux murs lambrissés pour mieux préserver les cuirs de l’humidité. C’est là qu’étaient exposés les harnais et les selles de prix11.

Durant le printemps 1914, plusieurs réceptions réunissent amis et connaissances dans le nouvel hôtel du comte Moïse de Camondo. Des buffets fleuris sont dressés, petits fours et sandwiches sont commandés, la terrasse est ornée de géraniums et bégonias. Il est vrai que le lieu s’y prête, malgré la fragilité des œuvres d’art qui y sont présentées – une préoccupation constante pour le maître de maison.

La guerre éclate début août alors qu’acomptes d’honoraires et règlements définitifs des travaux sont en cours. L’entreprise Michau et Douane, sans doute dépassée par le niveau d’exigence du comte « et les aléas de toute sorte qu’entraîne la construction à forfait d’un hôtel de cette importance qui ne devrait être exécuté qu’au métré », déplore le fait que « tous [ses] métreurs étant partis aux armées, il [leur] est impossible d’examiner le détail du règlement et de redresser les erreurs […] qui peuvent s’y être glissées12 » Baguès argumente sa demande de règlement : « étant donné les circonstances actuelles […] les rentrées étant excessivement difficiles par suite de l’absence de la presque totalité de notre clientèle à Paris, il nous est impossible de faire rentrer des fonds13. » Quant à Sergent, il accuse réception d’un chèque d’honoraires en remerciant Moïse de Camondo chaleureusement « car en ce moment l’argent est très rare et on en a plus besoin que jamais pour pouvoir garder ouverts ses bureaux14 » (cat. 6) .

Cat. 6 : Le lieutenant Nissim de Camondo sur les marches de l’escalier menant au jardin, lors de sa dernière permission en juillet 1917
Paris, musée Nissim de Camondo Inv. CAM 1145 Paris, musée Nissim de Camondo, inv. CAM 1145

Jusqu’à son décès en 1927, il s’occupe de l’entretien et des transformations de l’hôtel. Ses associés L. Fagen et R. Bétourné prennent sa suite au sein d’un Cabinet Sergent auquel Moïse de Camondo continue de s’adresser.

À la réception d’un ouvrage commémoratif sur l’architecte paru en 1931, le comte le remercie en ces termes : « Monsieur Sergent était un artiste, le digne successeur des grands architectes des XVII et XVIIIe siècles et l’hôtel qu’il m’a construit, à mon entière satisfaction, a eu le plus grand succès15. »

1Musée des Arts Décoratifs, département Arts graphiques, inv. CD 3027.39.

2Devis et mémoires de travaux. AMNC. LM63.15.36.

3Acompte sur travaux. AMNC. LM63.15.31.

4Correspondance, 14 septembre 1912. AMNC. LM63.15.31.

5Correspondance, 12 décembre 1912. AMNC. LC35, p. 168.

6Devis n° 4, le 2 mai 1913. AMNC. LM63.15.31.

7Correspondance, 17 mai 1913. AMNC. LC35, p. 317.

8Rénovée en 2003, des sondages ont permis de retrouver la couleur gris-vert d’origine des piliers et des poutres en fonte ainsi que le double filet brun rouge des caissons du plafond.

9Jusqu’en 1924, les factures concernant l’entretien et les soins donnés aux chevaux sont établies à Paris et à Aumont suivant les saisons.

10Cependant, les traces des lambris demeurent visibles, et les voûtes de briques du plafond ont été peintes.

11Restaurée en 2003.

12Correspondance du 3 octobre 1914. AMNC. LM63.3.3. François Loyer, « Un hôtel dans le goût du XVIIIe siècle », Marie-Noël de Gary (dir.), Musée Nissim de Camondo, op. cit., p. 297, note 47.

13Correspondance, le 29 octobre 1914. AMNC. LM63.15.32.

14Correspondance, le 24 février 1915. AMNC. LM63.2.

15Le 13 mai 1932, Moïse de Camondo à Mme Sergent. AMNC. LC42.

Bibliographie

René Bétourné, René Sergent architecte, 1865-1927, Paris, Horizons de France, 1931.

Marie-Noël de Gary (dir.), Musée Nissim de Camondo. La demeure d’un collectionneur, Paris, Les Arts Décoratifs, 2007 (en particulier le chapitre de François Loyer : « Un hôtel dans le goût du XVIIIe siècle », p. 57-79).

Marie-Noël de Gary, « L’hôtel de Moïse de Camondo. Les centraliens et le confort moderne : Cubain, Kula, Mildé », Le Paris des centraliens, bâtisseurs et entrepreneurs, Action artistique de la Ville de Paris, 2004, p. 212-215.

Marie-Noël de Gary et Gilles Plum, Les Cuisines de l’hôtel Camondo, Paris, Union centrale des arts décoratifs, 1999. Sylvie Legrand-Rossi, Le Musée Nissim de Camondo, Paris, Les Arts Décoratifs, 2009.

Sylvie Legrand-Rossi, « Le Musée Nissim de Camondo. La demeure d’un collectionneur, bâtisseur et décorateur », actes du colloque « Un siècle d’architecture et d’humanisme sur les bords de la Méditerranée. La villa Kérylos, joyau d’inspiration grecque et lieu de mémoire de la culture antique », Cahiers de la villa Kérylos, n° 20, Paris, Diffusion de Boccard, 2009, p. 21-36.

Sylvie Legrand-Rossi, « L’hôtel du comte Nissim de Camondo », cat. exp. La Splendeur des Camondo. De Constantinople à Paris (1806-1945) , Paris, musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, 6 novembre 2009-7 mars 2010, Paris, Skira Flammarion, musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, 2009, p. 118-119.

Bruno Pons, Grands Décors français 1650-1800, reconstitués en Angleterre, aux États-Unis, en Amérique du Sud et en France, Dijon, Éditions Faton, 1995.

Michel Steve, René Sergent et le néo-classicisme 1900, thèse de doctorat sous la direction de Bruno Foucart, Université Paris IV-Sorbonne, 1993.

Inventaire et présentation du fonds d’archives René Sergent : base de données ArchiWebture http://archiwebture.citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_SERRE

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