Thierry Mugler, Couturissime

du 30 septembre 2021 au 24 avril 2022

Le Musée des Arts Décoratifs accueille l’exposition « Thierry Mugler, Couturissime », conçue, produite et mise en itinérance par le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Cette exposition d’envergure retrace l’œuvre du créateur à l’imaginaire singulier qui a révolutionné la mode, la haute couture et le parfum. Cette étape parisienne signe le retour d’un artiste visionnaire, photographe, inventeur de parfums et metteur en scène, dans la ville où il a connu tous les succès.


#Couturissime

Direction du Musée des Arts Décoratifs
• Olivier GABET

Commissariat
• Thierry-Maxime LORIOT

Conception, production et itinérance
• Musée des beaux-arts de Montréal

Une exposition conçue, produite et mise en tournée par le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM)



En collaboration avec la Maison Mugler, qui a restauré le patrimoine Couture et prêt-à-porter présenté.

Proposée par le Musée des Arts Décoratifs avec le soutien de la Maison Mugler.



Avec le soutien des Friends of the Musée des Arts Décoratifs.


Commanditaires de la tournée internationale


Présentation

Silhouettes et accessoires de prêt-à-porter et de haute couture, costumes de scène, photographies, vidéos et archives inédites, datées de 1973 à 2014, retracent l’univers fascinant du créateur, ainsi que ses multiples collaborations artistiques dans les domaines du spectacle, de la musique et du cinéma. Dans une scénographie collective assurée par le MBAM, sous le commissariat de Thierry-Maxime Loriot, des performances numériques de professionnels du monde du spectacle et de l’audiovisuel ponctuent le parcours. Le Musée des Arts Décoratifs se réjouit de rendre ainsi hommage à cette icone pluridisciplinaire : loin d’une rétrospective classique, c’est une partie de la vie et toute l’énergie, dont à la fois Thierry Mugler et Manfred sont complémentaires, qui sont ici mises à l’honneur dans les galeries de la Mode Christine et Stephen A. Schwarzman.

EXPOSITION « THIERRY MUGLER : COUTURISSIME » AU MUSÉE DES ARTSCORATIFS ⁠ - YouTube
Gisele Bündchen, New York, 2018, collection Superstar Diana Ross, prêt-à-porter printemps-été 1991
© Luigi & Iango

Dès les années 1970 et jusqu’en 2002, quand Thierry Mugler tourne la page de la mode, le créateur s’est imposé comme l’un des couturiers les plus audacieux et les plus inventifs de son temps, allant jusqu’à incarner l’image même des années 1980, grâce à une silhouette graphique d’une force remarquable. Dans les années 1990, il contribue puissamment à la renaissance de la haute couture par ses collections et son sens de la mise en scène de défilés spectaculaires et de photographies grandioses, alliés aux mannequins les plus iconiques.

« Thierry Mugler, Couturissime » organisée en plusieurs actes, tel un opéra, mêle de façon thématique costumes, projections animées, photographies et musique, créant des ambiances qui incarnent les différents projets dans lesquels s’est investi l’artiste depuis la fin des années 1970.

L’exposition qui se déploie sur deux niveaux, s’ouvre sur une évocation du bestiaire fantastique de Mugler, de la microfaune aux profondeurs marines faisant la part belle à la démesure : silhouettes futuristes aux épaulettes pointues, décolletés abyssaux, tailles de guêpes irréelles…

Jerry Hall, collection « Les Insectes », haute couture printemps-été 1997
© Dominique Issermann

Deux silhouettes exceptionnelles issues des collections Insectes et Chimères (1997/1998) illustrent avec éclat cette section. Un fourreau à traîne de velours noir, orné d’ailes de papillon de la maison Lemarié et une « créature » articulée d’écailles iridescentes brodées de cristaux, de diamants fantaisie, de plumes et de crin de cheval, font désormais partie des chefs-d’œuvre absolus de la couture. Des nymphes vêtues de bustiers coquillage en verre cranté et d’extravagantes méduses en organza semblent évoluer vingt-mille lieues sous les mers. La science-fiction succède à ce monde animal et aquatique : les superhéroïnes de bandes dessinées, le design industriel et les automobiles futuristes deviennent de nouvelles sources d’inspiration.

De surprenantes créatures robotisées, carrossées, aérodynamiques, façonnées dans des matières innovantes, devenues emblématiques, anticipent les révolutions du transhumanisme. L’artiste a conçu avec humour des fourreaux amovibles ou « décapotables », des bustiers « pare-chocs » et des ceintures « radiateur ». On ne peut qu’admirer sa Maschinenmensch dévoilée en 1995 pour les vingt ans de sa maison : une cuirasse robotique intégralement articulée qui nécessita pas moins de six mois de travail intensif. En dehors de la création de mode, Thierry Mugler s’est distingué dans le domaine de la parfumerie en donnant naissance, en 1992, à Angel, une révolution olfactive qui a lancé la tendance des parfums gourmands. Une salle mise en scène par l’artiste achève cette section en évoquant le monde des senteurs imaginées par le créateur et qui ont toujours été synonymes pour lui d’infini et de rêve.

Claudia Lynx, 1995, collection Anniversaire des 20 ans, prêt-à-porter automne-hiver 1995-1996
The Helmut Newton Foundation, Berlin
© The Helmut Newton Estate

Dès la fin des années 1960, la photographie de mode se développe en se substituant aux illustrations pour s’imposer pleinement. L’exposition consacre, dès le deuxième étage, une place de choix à ce médium avec de nombreux tirages rares signés des plus grands artistes et photographes de mode, parmi lesquels Guy Bourdin, Jean-Paul Goude, Karl Lagerfeld, Dominique Issermann, David LaChapelle, Luigi & Iango, Sarah Moon, Pierre et Gilles, Paolo Roversi, Herb Ritts et Ellen von Unwerth ainsi que la collaboration fructueuse entre Thierry Mugler et le photographe Helmut Newton.

Une salle est dédiée aux réalisations photographiques de Mugler lui-même qui se lance, dès 1976, dans les prises de vues de ses propres campagnes visuelles, jouant du glamour et de la beauté de ses muses, de Jerry Hall à Iman, dans des lieux extrêmes, du Groenland au Sahara, jusque sur les toits de l’Opéra de Paris.

À la fin des années 1970, Mugler crée la « glamazone », une femme chic, moderne, urbaine et glamour à contrecourant de la mode flower power et hippie de l’époque. Dans un décor noir et blanc, ses créations en paillettes évoquent la tentation de l’érotisme et du fétichisme, avec des tenues plus dénudées alliant latex et vinyle, matières subversives et innovantes, qu’il élève au rang de classiques.

Emma Sjöberg lors du tournage du vidéoclip de la chanson « Too Funky », de George Michael, Paris, 1992
Réalisé par Thierry Mugler, collection Les Cow-boys, prêt-à-porter printemps-été 1992
© Patrice Stable

La musique occupe une place de choix avec le clip « Too funky » de Georges Michael réalisé par Thierry Mugler dont les tenues sont portées par les plus célèbres top-modèles des années 1990, d’Eva Herzigova à Linda Evangelista, d’Emma Sjöberg à Estelle Lefebure en passant par la mannequin transgenre Connie Girl, le performeur Joey Arias et Julie Newmar, la première Catwoman. Il rend également hommage à la costumière américaine Edith Head oscarisée huit fois. Mugler a aussi lancé, sur ses podiums, le phénomène des défilés spectacles, en y invitant des célébrités hollywoodiennes, comme Diana Ross, Tippi Hedren ou Sharon Stone, et signant lui-même leur mise en scène et les bande-sons.

Enfin, l’exposition fait revivre une sélection de costumes conçus par l’artiste pour « Macbeth », pièce présentée par la troupe de la Comédie-Française au festival d’Avignon, en 1985. Le costume pour le personnage de la première sorcière, des croquis affichés sur le mur ainsi qu’une installation multimédia de Michel Lemieux (4D Art), ne sont que quelques exemples des éléments nous transportant dans ce monde shakespearien puissamment tragique.

« Thierry Mugler, Couturissime » est l’occasion de découvrir et redécouvrir cet artiste total, tour à tour danseur, homme de scène, photographe et créateur, un homme qui a marqué son époque en révolutionnant la mode par ses créations aux morphologies sculpturales à la fois futuristes et élégantes. Son style distinctif a transcendé les modes et a influencé, encore aujourd’hui, des générations de créateurs.

Biographie

Naissance à Strasbourg, en France.

1962
Le jeune Mugler rejoint le ballet de l’Opéra national du Rhin, avec lequel il tourne pendant six ans en tant que danseur classique professionnel. Il étudie parallèlement à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg. C’est à cette époque qu’il commence à créer ses propres vêtements et à définir son style.

1967
Mugler déménage à Paris pour auditionner auprès de troupes de ballet contemporain. Il comprend rapidement qu’il peut vivre du métier de styliste de mode et, très vite, vend ses croquis aux marques Dorothée Bis et Cacharel. Embauché par Gudule, le premier concept store de Paris situé rue de Buci, il crée un nouveau style avec ses manteaux ultralongs et ses carrures extrêmes : un succès immédiat. Installé entre Londres et Amsterdam, il travaille durant sept ans comme styliste indépendant pour diverses maisons de prêt-à-porter à Paris, Londres, Milan et Barcelone.

1973
Il signe la collection initiale de sa première marque, Café de Paris. Ses vêtements se vendent dans la boutique Créateurs et Industriels, rue de Rennes à Paris, conçue par l’architecte d’intérieur française Andrée Putman et l’homme d’affaires Didier Grumbach. Avec Alain Caradeuc, il fonde la société Thierry Mugler.

1976
L’Allemand Helmut Newton photographie la première campagne publicitaire de Thierry Mugler. Sur les conseils de Pierre Bergé, Didier Grumbach s’intéresse à Mugler : de 1978 à 1998, il est associé et président de la marque Thierry Mugler, alors qu’il produit également le prêt-à-porter de Valentino, Saint Laurent, Lanvin et Chanel. Grumbach propose Michel Douard comme directeur général la même année.

1978
Mugler photographie pour la première fois sa propre campagne publicitaire. Il ouvre sa première boutique au 10, place des Victoires, à Paris, et crée les tenues des serveurs de la discothèque parisienne le Palace.

Stern, mai 1979, collection Spirale futuriste, prêt-à-porter automne-hiver 1979-1980
© Peter Knapp

1979
David Bowie affiche une robe sirène à paillettes Mugler dans son clip « Boys Keep Swinging ». Le chanteur porte des vêtements Mugler tout au long de sa carrière.

1984
Au Zénith de Paris, Mugler célèbre le 10e anniversaire de sa maison de couture avec un défilé-spectacle ouvert au public qui présente 350 tenues et auquel assistent 6 000 personnes.

1985
Le créateur conçoit les costumes de la comédie musicale Émilie Jolie et ceux de l’opéra Nuits d’été, composé par Jacques Lenot. Il produit pendant douze ans les costumes de l’humoriste Sylvie Joly pour ses spectacles. Il réalise les costumes de La Tragédie de Macbeth de Shakespeare produite à la Comédie- Française. Le ministre de la Culture Jack Lang fait scandale en se présentant à une séance de l’Assemblée nationale avec un costume noir à col Mao signé Mugler, dérogeant au traditionnel port de cravate.

1987
Mugler réalise le court métrage L’Antimentale, avec sa muse Dauphine de Jerphanion et le boxeur Stéphane Ferrara, sur une musique de Gabriel Yared.

1988
Le livre Thierry Mugler, photographe est publié aux éditions du Regard (préfacé par Jack Lang).

Claude Heidemeyer, Opéra Garnier (Paris), 1986
© Manfred Thierry Mugler

1989
Mugler crée les costumes de Mylène Farmer pour sa première grande tournée, « Tour 89 ».

1990
Il réalise quatre courts métrages pour Canal+, dont chacun met en vedette une actrice différente : Juliette Binoche (Le Procès de Jeanne d’Arc), Isabelle Huppert (La Voix humaine), Viktor Lazlo (C’est ma faute) et Dauphine de Jerphanion (Marie-Antoinette au temple). Il dirige également sa première publicité télé pour les cigarettes Gauloises.

1992
Mugler dévoile sa première collection haute couture. Il scénarise et réalise le clip « Too Funky » de George Michael. Il présente également un défilé à Los Angeles pour l’APLA (AIDS Project Los Angeles) et lance son premier parfum, Angel.

1993
Le couturier devient le premier créateur français à être propriétaire de ses propres usines de fabrication ultramodernes, où est confectionné son prêt-à-porter haut de gamme. Il organise un défilé au bénéfice de l’amfAR au Saks Fifth Avenue, à New York ; Diana Ross en est le mannequin vedette. Il présente un défilé à Vienne pour le premier Life Ball.

1994
Mugler fait une apparition dans le film Prêt-à-porter de Robert Altman.

1995
Il conçoit le numéro d’ouverture des VH1 Fashion Awards.

1996
Il commercialise son premier parfum masculin, A*Men.

1997
Il devient membre invité de la Chambre syndicale de la haute couture parisienne. Le groupe Clarins acquiert la majorité des parts de la maison Thierry Mugler.

2002
Le créateur quitte sa propre maison de couture pour se consacrer à d’autres projets artistiques. Il se nomme désormais Manfred T. Mugler.

2003-2020
Il signe les costumes du spectacle Zumanity, présenté à Las Vegas par le Cirque du Soleil.

2005
Mugler lance le parfum Alien.

2008
Mugler signe les costumes du spectacle Arias With a Twist écrit par Joey Arias et Basil Twist et présenté à New York.

2009
Il crée les costumes de scène de Beyoncé pour sa tournée mondiale « I Am… ». Il participe également à la chorégraphie et à la direction artistique.

2013-2015
Il crée la revue Mugler Follies au théâtre Comédia à Paris.

2014-2016
Le créateur s’installe à Berlin et y assure la mise en scène du spectacle The Wyld, au Friedrichstadt-Palast.

2019
Mugler est chargé de la création des costumes et de la direction artistique du ballet McGregor + Mugler, au London Coliseum.

2020
L’Oréal fait l’acquisition des divisions parfums et mode de la maison Mugler.

2019-2022
L’exposition « Thierry Mugler, Couturissime » est conçue et produite par le Musée des beaux-arts de Montréal ; elle tourne ensuite au Kunsthal de Rotterdam, à la Kunsthalle de Munich et au Musée des Arts Décoratifs de Paris.

Manfred Thierry Mugler,
Reinier RDVA
© 2021
Thématiques

Métamorphoses : le bestiaire fantastique

« Depuis toujours, je suis fasciné par le plus bel animal sur terre : l’être humain. »

Collection « Insectes », haute couture printemps-été 1997
Robe en latex peint « carapace »
© Indüstria / Brad Branson and Fritz Kok

Mugler aime le rythme et l’instinct de ses « bêtes de scène » et des « sublimes animaux ». Selon Mugler, la séduction humaine fait écho au monde animal qui inspire ses créations fantastiques. Le bestiaire de Mugler s’inspire des reptiles, des insectes, des oiseaux et des papillons. Innovateur, le créateur n’utilise pas de fourrure mais des matières synthétiques. Il refuse les peaux luxueuses ou les plumes rares, mais imite les pelages ou les carapaces, comme pour l’ingénieux trompe-l’œil d’empiècements de sa robe « crocodile ». Ses combinaisons en cuir repoussé aux teintes ocre ou chocolat sont comme une seconde peau scarifiée.

En 1997-1998, deux collections exceptionnelles de Mugler redonnent un second souffle à la haute couture française : Les Insectes comprennent un spectaculaire fourreau à traîne de velours noir, orné d’ailes de papillon de la Maison Lemarié, spécialisée dans la plumasserie ; La Chimère dévoile une créature mythologique avec une armure articulée, des écailles iridescentes brodées de cristaux, de diamants fantaisie, de plumes et de crin de cheval, un chef-d’œuvre réalisé avec le corsetier Mr Pearl et l’artiste Jean-Jacques Urcun qui a nécessité des milliers d’heures de travail en atelier. [...]

Couture gynoïde et futuriste

« J’ai toujours essayé, dans mon travail, de rendre les gens plus forts en apparence qu’ils ne le sont vraiment. »

Collection « Les Insectes », haute couture printemps-été 1997
Tailleur en caoutchouc, effet « pneu ». Collaboration avec Abel Villarreal
© Patrice Stable

Mugler imagine des silhouettes aérodynamiques et robotiques qui deviendront emblématiques. Il s’inspire de la science-fiction et des superhéroïnes de bandes dessinées, des armures médiévales et des uniformes, du design industriel et des automobiles futuristes. Aux frontières du réel, ses créatures carrossées et ses cyborgs anticipent les révolutions du transhumanisme. En 1989, Mugler présente sa collection Hiver Buick en hommage à l’Américain Harley J. Earl, qui a dessiné les fameux ailerons des Cadillac Eldorado en 1959.

Le couturier conçoit avec humour des fourreaux amovibles ou « décapotables », des bustiers « pare-chocs », des ceintures « radiateur », et un sac « aileron ». Plus tard, Mugler collabore avec le carrossier en aviation Jean- Pierre Delcros et le designer industriel Jean-Jacques Urcun pour créer, grâce à des techniques inédites, des créatures-robots magistrales, coulées dans des bustiers en chrome et des combinaisons en plexiglas. Son chef-d’œuvre demeure sa Maschinenmensch dévoilée en 1995 lors du défilé anniversaire des vingt ans de sa maison. Hommage à la Futura du roman dystopique Metropolis (1925), ce costume a nécessité six mois de travail intensif. Comme une carapace de crabe, la cuirasse s’articule grâce à des empiècements rattachés par du cuir et du caoutchouc, une structure interne en plastique facilitant les mouvements sur la peau.

Le lab Mugler

Jerry Hall, Campagne publicitaire du parfum Angel, Nouveau-Mexique, 1995
Collection Superstar Diana Ross, prêt-à-porter printemps-été, 1991
© Manfred Thierry Mugler

Le jeune Mugler dormait sur des bancs publics dans des parcs et regardait chaque fois « cette étoile qui brillait toujours plus que les autres, bleutée » […]. L’étoile, d’une couleur impossible à reproduire, impalpable, intouchable, évoque l’infini et le rêve. [...] Elle a inspiré le couturier pour la création du flacon d’Angel. Réalisé en collaboration avec son complice, le designer industriel Jean- Jacques Urcun, il constitue un véritable défi technique de cristallerie et innove par sa technique de moulage.

En octobre 1979, cinq ans après le lancement de sa marque, il déclare au quotidien américain Women’s Wear Daily : « Je fais des expériences avec les parfums. Je veux fabriquer une fragrance tellement délicieuse qu’on aura envie de la manger. » Treize ans plus tard, la bonne formule, celle qui incarnera son rêve de gamin, sera mise au point. Mugler collabore avec Christian Courtin et Véra Strübi dès 1990 afin de développer Angel, son premier parfum créé avec le parfumeur grassois Olivier Cresp. Mugler lui avait parlé « d’une odeur de chocolat et de caramel, d’un jus classique qu’un petit garçon donnerait à sa mère », lui racontant également ses souvenirs d’enfance peuplés de gâteaux, de friandises et de chocolat. […] Avec une approche aussi audacieuse et innovante que l’on retrouve dans sa mode, cette proposition olfactive est inédite et propose des accords sans précédent. Bousculant les codes, et surtout les tendances de la parfumerie traditionnelle, elle est en rupture totale avec ce qui est offert à l’époque. Angel n’est pas qu’une nouveauté, c’est une invention.

Au-delà de la mode : Mugler derrière la caméra

Dauphine de Jerphanion, Opéra Garnier (Paris), 1986
© Manfred Thierry Mugler

Le déclic de Mugler pour la photographie se produit en 1976, quand il demande à Helmut Newton de réaliser une campagne publicitaire. Intervenant constamment durant les séances, Mugler se souvient de la réplique du photographe : « Si tu es tellement sûr de ce que tu veux, pourquoi ne le fais-tu pas toi-même ? » Mugler se lance et réalise dès lors ses propres campagnes visuelles, inspiré par son univers caractérisé par l’extraordinaire et l’inusité. Il photographie ses créations portées par ses muses, dont Iman et Jerry Hall, dans des lieux extrêmes, vierges et inaccessibles : un iceberg au Groenland, les dunes du Sahara, les aigles du Chrysler Building ou le toit de l’Opéra de Paris.

Fasciné par les architectures vertigineuses et l’immensité des espaces naturels, Mugler reste marqué par le gothique de la cathédrale de Strasbourg de son enfance, l’Art déco, les styles soviétique et futuriste. Ses images offrent à sa mode l’écrin d’une architecture colossale et de sculptures monumentales, souvent héroïques, en un jeu savant de proportions et de perspectives, du miniature à la démesure. Les décors naturels inédits et imposants qu’il choisit évoquent un combat entre les forces de la nature et celle de la femme, égale, sinon supérieure, à l’homme. [...]

Belle de jour et belle de nuit

Collection « Anniversaire des 20 ans », haute couture automne-hiver 1995-1996
© Patrice Stable

En pleine révolution hippie, flower power et folklorique, Mugler défie les tendances dès le début des années 1970 en inventant la « glamazone » : une femme moderne, chic, urbaine et fantaisiste. Coupes anatomiques, silhouettes architecturales, matières innovantes, la femme Mugler s’assume avec des chapeaux surdimensionnés, des épaules extralarges, des robes et vestes moulées, une poitrine pigeonnante, une taille de guêpe, corsets rutilants, cuissardes interminables, talons « sabre » et même « décolleté-fesses ». « L’élégance, c’est du courage, du culot […] », selon le couturier. Le look Mugler marque l’histoire avec ses vêtements stricts et ses variations sur le col Mao : ses figures géométriques aux formes radicalement accentuées sont tracées dans l’espace avec une précision chirurgicale, comme au laser.

Le mythe du corps parfait surgit avec l’apparition du total look et de l’élasthanne dans les tissus commerciaux, qui permet de mouler les courbes. Mugler utilise le latex et le vinyle, matières fétichistes et underground, qu’il élève au rang de classiques. Au-delà de la maximisation érotique, la conscience de soi s’affirme avec la tendance body conscious. […]

Dans l’œil du photographe : Helmut Newton

Séance de photo pour le catalogue de la collection Lingerie Revisited, Monaco, 1998
The Helmut Newton Foundation, Berlin. Collection Lingerie Revisited, prêt-à-porter automne-hiver 1998-1999
© The Helmut Newton Estate

Inséparable de l’essor des revues, la photographie de mode se substitue aux illustrations pour s’imposer dans les années 1960. À cette époque, les annonceurs n’appartiennent pas à de puissants groupes de luxe. Le rôle des rédactrices en chef grandit, leur permettant de soutenir de jeunes talents – mannequins, photographes et créateurs – en toute liberté. À la tête de Vogue (France) de 1968 à 1987, Francine Crescent propulse la carrière de Mugler. Elle donne aussi carte blanche à deux maîtres qui bouleversent les codes de la photographie de mode contemporaine : Helmut Newton (1920- 2004) et Guy Bourdin (1928-1991). Leurs « glamazones » s’étalent dans les doubles pages, dominant un monde sans hommes. Au début des années 1970, les femmes émancipées du mouvement de libération post-Mai 68 triomphent.

Newton photographie des séductrices puissantes, toujours impressionnantes, voire intimidantes. Ses clichés transcendent les formes narratives traditionnelles où coexistent une élégance subtile et éclatante, des métissages culturels et une intelligence picturale. Polysémiques et intemporelles, certaines des photographies de Newton sont désormais considérées comme iconiques. Beaucoup de photographes ont collaboré à cette exposition collective ainsi que, pour la première fois, la Fondation Helmut Newton de Berlin.

Too Funky

Tournage du vidéoclip de la chanson « Too Funky » de George Michael, Paris, 1992
Réalisé par Thierry Mugler. Linda Evangelista
© Patrice Stable

Le vidéoclip emblématique de la célèbre chanson « Too Funky » de George Michael (1963-2016), pop star britannique alors à son apogée, sort en juin 1992. À cette époque, George Michael boycotte sa maison de disques en raison d’un litige et refuse d’apparaître dans ses propres vidéoclips, en commençant par « Freedom ! ’90 », dans lequel plusieurs top-modèles chantent en play-back. […] Plutôt que de simplement filmer un défilé de mode, Mugler montre avec un esprit à la fois militant et plein de dérision le contraste entre le glamour des podiums et l’enfer des coulisses. […]

Quintessence de l’esthétique pop, le clip « Too Funky » réunit un casting exceptionnel en tenues Mugler : les célèbres supermodels Eva Herzigová, Linda Evangelista, Nadja Auermann, Emma Sjöberg, Beverly Peele, Emma Balfour, Estelle Lefébure, Shana Zadrick et Tyra Banks ; la mannequin grande taille Stella Ellis, la mannequin transgenre Connie Girl (Fleming), Larissa et Lypsinka ; les actrices Julie Newmar, mieux connue pour son rôle de Catwoman dans la série télévisée Batman (1966-1968), et Rossy de Palma ; l’acteur béninois Djimon Hounsou ; et le performeur Joey Arias qui, avec sa coupe distincte et ses lunettes rondes, rend hommage à la costumière américaine de Hollywood huit fois oscarisée Edith Head (1897-1981). […]

Stars et strass

« Ma seule vraie vocation, c’est le spectacle. » Loin des défilés haute couture convenus, organisés dans des salons privés, Mugler révolutionne la mode avec ses défilés-spectacles et ses mannequins vedettes : « J’ai toujours pensé que la mode ne se suffisait pas à elle-même et qu’il fallait la montrer dans son environnement musical et théâtral. » Le podium devient comédie musicale, bulles de bande dessinée, écran hollywoodien, cabaret glamour : ses mannequins incarnent des personnages de fiction, superhéroïnes affranchies et pleines d’humour. Il habillera des stars de la musique comme David Bowie (premier à porter ses créations, il se mariera d’ailleurs en Mugler), James Brown, Jane Birkin, Diane Dufresne, Ute Lemper, Madonna, Lady Gaga, Beyoncé, et plus récemment Cardi B., ainsi que la vedette de téléréalité Kim Kardashian.

Eva Herzigová, Vogue (Italie), 1992
Ellen von Unwerth Studio, Paris. Collection « Les Cow-boys », prêt-à-porter printemps-été 1992
© Ellen von Unwerth

Important un concept instauré en 1973 par le couturier japonais Issey Miyake, Mugler devient en 1984 le premier créateur à présenter en Occident un défilé-spectacle payant ouvert au public. Dans la salle du Zénith à Paris, plus de 6 000 personnes – dont 4 000 ont payé 175 francs – assistent à une inoubliable superproduction, un « opéra mode » nécessitant 800 projecteurs et réunissant 60 mannequins portant 350 modèles, 18 techniciens du son, 20 coiffeurs et autant de maquilleurs, la plupart venus du Japon.

Macbeth et Lady M

Disposant du plus gros budget de la Comédie-Française depuis sa fondation en 1680, Mugler crée plus de 70 costumes et accessoires pour la représentation de La Tragédie de Macbeth donnée par la célèbre troupe. « Les acteurs, explique le couturier, sont tous dans des armures et des cuirasses magistrales, des musculatures-pourpoints, en cuir et en métal, alors qu’ils sont vulnérables en dessous. »

Cette exposition offre une occasion unique de découvrir les costumes confectionnés dans les ateliers de l’institution parisienne, un défi de taille étant donné la complexité des matières et des techniques inédites qui ont été employées. Mise en scène par Jean-Pierre Vincent, La Tragédie de Macbeth est jouée sept soirs en ouverture du Festival d’Avignon en juillet 1985, sur la scène extérieure de la cour d’honneur du Palais des Papes, puis quelques mois plus tard à Paris. Véritable cage dorée, la robe de Lady Macbeth – une imposante structure métallique autoportante – s’ouvre pour révéler avec éclat la reine déchue dans une robe simple en chiffon, déchaussée de ses hautes plates-formes. Engoncées dans d’énormes fraises en satin plissé évoquant des billots de guillotine, les sorcières voient leurs sublimes robes Renaissance déchirées et calcinées, des appliques de latex créant les brûlures de fagots enflammés dans leur traîne. […]

Découvrez le film d’Anna-Claria Ostasenko Bogdanoff

« Au terme rétrospective, Thierry Mugler préférait celui d’opéra en neuf actes. Metteur en scène de sa propre vie, Mugler était ce personnage futuriste au passé, ce colosse mythologique, ce créateur éternel. Et pourtant, après le spectacle, demeure, plus imperceptible, moins évidente, cette légèreté de l’être. « La vie n’est qu’une ombre qui passe » écrivait Shakespeare. Il me semble, en un sens, que Mugler partageait cette vision de l’existence. Il voyait en chaque être ce mélange de puissance et de fragilité, de violence et de douceur, de joie et de tristesse. La femme devient une chimère, des écailles scintillantes la recouvrent, des plumes lui poussent, mais elle reste néanmoins cette créature qui ne peut s’envoler. Cet écart entre la beauté, le rêve et l’impermanence des choses m’ont inspiré dans la réalisation de ce film qui, posthume à plus d’un titre, rend hommage à ce grand poète. » Anna-Claria Ostasenko Bogdanoff

Film de l’exposition « Thierry Mugler, Couturissime »
Réalisation : Anna-Claria Ostasenko / Musique : Wenceslas Ostasenko
© Les Arts Décoratifs / Anna-Claria Ostasenko Bogdanoff
Le catalogue

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